
Je ne vais pas me faire des amis mais tant pis… : j’ai de plus en plus de mal avec les chiens et les chats. On en voit partout sur la toile et autour de nous et cela devient pesant. Ils en arrivent à remplacer un enfant, un conjoint, un ami…
Je ne leur ai jamais fait de mal et je comprends que l’on s’attache à eux quand on est en manque d’affection. L’amour d’un chien est inconditionnel, un peu moins celui d’un chat qui sait cependant, lui aussi, donner de l’affection. La fidélité d’un chien en particulier est totale et absolue, jusque dans sa mort et, malgré les tarifs des vétérinaires, il finit par coûter moins cher qu’un enfant !
Cependant, ce ne sont pas de vrais partenaires : la soumission d’un chien n’ouvre pas à un vrai dialogue et la liberté du chat n’en fait pas davantage un véritable interlocuteur. Leur présence est apaisante parce qu’ils ne nous remettent jamais radicalement en cause. Ce sont des êtres vivants qui demandent à être respectés et aimés mais sans nous questionner en profondeur sur ce que nous sommes. Cela me rappelle « l’opium du peuple » mais pour certains, c’est leur survie qui est en jeu.
« Ils font partie de la famille ! » Peut-être, mais leur présence est autrement moins exigeante que celle d’un partenaire ou d’un enfant. « Des boules d’amour », certes, mais la relation avec un enfant est d’une complexité qui peut autrement effrayer et à bon droit.
Tous les possesseurs de chien ou de chat sont, sans doute, en manque d’amour, moi aussi. Il peut être tentant alors de rechercher l’affection d’un animal domestique qui posera moins de problèmes à long terme que l’affrontement à une réalité difficile à supporter. À moins qu’on se sente capable de lui faire face.
Moi qui suis célibataire, je suis rempli d’admiration pour mes proches qui vivent en couple depuis de longues années. Ils partagent leur vie, au jour le jour, avec un partenaire réel qui leur fait front, leur résiste, existe face à eux avec sa personnalité ; ils connaissent leurs qualités respectives, leurs défauts, leurs petitesses et leurs bons côtés, ils se supportent et, plus encore, ils grandissent ensemble, conscients de leur altérité. Ils ont une personne à leur côté qui ne leur passe pas leurs caprices, qui est capable de s’affronter à eux avec violence tout en les soutenant efficacement dans leurs épreuves. Tel est leur amour qui connaît des hauts et des bas tout en vivant malgré tout. Je les envie souvent, la vie de couple est un défi magnifique, tout en me demandant si je serais capable, à leur exemple, de traverser les épreuves en faisant grandir l’amour.
Il leur arrive de passer près de la rupture comme c’est le cas dans toutes les relations humaines, qui sont moins paisibles en effet que ce qu’on peut connaître avec un chat mais autrement enrichissantes. Je conçois que l’on puisse reculer devant les exigences de ces rapports humains ou chercher des compensations avec les faveurs animales, tout en étant admiratif devant ce que sont capables de vivre tant de couples dans la durée.
Je me demande aussi si je serais capable d’accompagner leurs enfants comme ils le font. La « boule d’amour » se complexifie en grandissant ! Elle gagne en autonomie, ne prend pas les chemins imaginés par les parents, cherche l’affrontement… Comment respecter les enfants, les guider, leur faire confiance, dépasser ses peurs, admettre que leurs choix peuvent être les bons, les accepter tels qu’ils sont quand ils reviennent, quand ils grandissent, quand ils arrivent avec un partenaire ? Leur itinéraire de l’enfance à l’âge adulte est semé d’embûches et d’angoisse pour leurs parents. « Il vaut mieux adopter un chien ! » Peut-être, mais c’est passer à côté d’un sacré chemin d’humanité.
J’ai moi-même souvent l’impression d’avoir accepté de me priver de cette chance et de m’en trouver diminué. J’essaye de combler mes manques du mieux possible. Sans une partenaire avec qui m’affronter au jour le jour, avec qui construire une existence qui nous serait propre ; je ne cherche pas, ou plus, des compensations affectives qui m’adouciraient la vie, quand bien même elles seraient à quatre pattes. Je suis devenu trop exigeant pour me lancer désormais dans une relation au rabais, ou peut-être ai-je fait le deuil de trouver quelqu’un qui me supporterait sur le long terme… et réciproquement !
À la place, je multiplie les relations en faisant en sorte qu’avec certaines au moins, je sois face à une altérité exigeante. Il est tellement facile de n’avoir autour de soi que des amis bienveillants, tolérants au point de ne pas bousculer la quiétude d’un vieux garçon. La durée est importante également : se frotter avec des amis sur le long terme ne remplace pas, certes, la vie à deux mais permet d’éviter le zapping qui conduit à se séparer régulièrement de ceux qui nous encombrent. En passant par dessus certains agacements, il s’agit d’éviter de couper tout contact avec ceux qui ne sont pas immédiatement de notre avis. Pour ne pas se laisser enfermer dans des attitudes sclérosées, il est important de maintenir certaines confrontations. Sans sombrer dans le masochisme, il est bon de ne pas se séparer radicalement de ceux qui n’ont pas les mêmes opinions que moi, votent différemment, n’ont pas ma religion, ma culture, mes origines sociales. Sans tout accepter, comment exister face à ceux qui sont différents en évitant la rupture tout en maintenant le dialogue ? Le repliement sur son petit espace est le danger du célibataire…
Il reste la question des enfants. Ne pas en avoir est un mélange de frustration et parfois de soulagement quand je vois les galères de certains parents ! Par bonheur, il y a ceux des autres. Les côtoyer comporte un certain nombre d’avantages. On ne rencontre les tout-petits que dans les bons moments en étant dispensés des nuits difficiles et des angoisses face à leurs maladies. Je trouve fascinant de les avoir dans les bras, de profiter de leur confiance, de se demander devant leurs grands yeux qui vous fixent ce qu’ils vont devenir, comment ils vont gérer ce monde qu’on leur lègue. Le mystère de celui qui s’ouvre à la vie et qui emmagasine à toute vitesse les données passant à sa portée me laisse rêveur.
Pour ce qui est des plus grands, l’avantage de l’ami de la famille, lui qui n’est que de passage, est souvent important parce qu’il est proche sans être « les parents ». Comme il n’est pas responsable, il est moins tenté de juger ou même de conseiller. Il est là, à l’écoute, gratuitement, prêt à recevoir des confidences, en toute discrétion, comme un témoin ponctuel dont la présence n’est qu’épisodique.
J’apprécie particulièrement toutes ces rencontres avec des adultes, des jeunes et des enfants, à la fois proches et lointains. Si elles ne comblent pas tous les manques, elles me sont un facteur d’équilibre important, je dirais même indispensable à rechercher quand la vie elle-même ne nous bouscule pas suffisamment hors de notre zone de confort.
Le danger est de regarder la vie des autres en surplomb. Il est facile alors, tant qu’on n’est pas impliqué, de juger, de condamner, de conseiller… enfermé dans les certitudes et la bonne conscience de celui qui n’est pas directement impliqué. J’y vois une des formes de ce cléricalisme que dénonce notre pape.
Cela m’amène à m’interroger sur mes rapports avec les jeunes en particulier mais aussi, plus largement, avec les hommes de notre temps. Faut-il chercher à les convertir, à les ramener à la vraie morale, à la vraie religion, au vrai sens de la vie… les nôtres bien entendu ? Ou bien croire en la vie qui est en eux ? Les jeunes portent l’avenir, alors peut-on leur faire confiance, y compris quand il nous semble qu’ils s’engagent dans des impasses et que leurs choix nous sont incompréhensibles ? Est-ce qu’il ne serait pas suffisant de tester les conséquences du choc que peut produire sur leur vie, telle qu’elle est, la rencontre avec le Jésus de l’Évangile ? Je m’efforce d’y croire. La suite ne nous appartient pas, l’avenir est entre leurs mains.
On peut aussi trouver ces interrogations oiseuses et se contenter d’adopter un chat ou un chien, voire les deux. D’autant que ce n’est peut-être pas incompatible…