Actes 3

Près de deux années viennent de s’écouler depuis qu’une équipe s’est constituée à Pessac pour s’occuper des obsèques sur le secteur ,ils sont à présent onze à se relayer auprès des familles en deuil, à seconder les prêtres et à les remplacer parfois pour célébrer un enterrement. Chaque semaine, le groupe est fort sollicité…mais, en cette fin d’après-midi de Juin, ce n’est pas pour, de nouveau, préparer des obsèques qu’une petite partie de l’équipe se réunit.
Aujourd’hui ,en effet, il s’agit pour la première fois d’aller à la rencontre des familles que le groupe a accompagnées, cette année ou l’an dernier, pour l’enterrement d’un proche. Afin d’éviter le cadre impersonnel et peut-être protocolaire d’une salle paroissiale, Maryse a proposé d’organiser chez elle un goûter et de convier des familles résidant aux alentours.
Vingt-quatre invitations ont ainsi été adressées : quatorze familles ont répondu, quatre s’excusaient de ne pas être disponibles ce jour-là…
Un peu avant l’heure dite, comme convenu, Régine, Eliette et Marie-Joëlle, toutes trois engagées dans l’équipe obsèques ainsi que Monique en charge, elle, de l’animation pastorale de la paroisse sont venues rejoindre Maryse. Les derniers préparatifs donnent l’occasion au petit groupe de parler tranquillement et de lire les quelques lignes que le Père Christian leur avait adressées afin de les aider, si besoin, à animer la rencontre:
Comment cette expérience nous a fait mûrir, nous a transformés, n’a pas été digérée…
Est-ce qu’elle nous a permis de changer dans notre vision de l’Eglise, de la foi, de la personne de Jésus, de la foi en la résurrection…
Qu’attendez-vous des chrétiens?
"Christ est ressuscité" qu’est-ce que cela évoque pour nous?
17 heures…tout est prêt, même les feuillets avec les questions…va-t-on s’en servir? les distribuer à la fin de l’échange? les donner à quelques personnes?…Déjà le premier coup de sonnette retentit : en quelques minutes, les arrivées se succèdent.
Voici une dame, puis une autre…un couple, puis deux soeurs, deux autres soeurs, une dame encore…un peu plus tard, c’est un monsieur qui se présente, désolé de n’avoir pu arriver plus tôt…et voici sa fille qui vient le rejoindre…En moins d’une heure, ils sont quatorze à être accueillis par le petit groupe. Dans un premier élan, chacun va tout naturellement vers celle qui l’a accompagné lors de son épreuve…
Se retrouver ainsi, dans ces circonstances tellement différentes de celles, si douloureuses, des obsèques, c’est pour tous réunis l’occasion de partager un moment, tout simplement, de parler un peu et d’évoquer l’accompagnement tel que les familles l’ont vécu.
Quand, tour à tour, chacun s’est présenté, certains en parlant du deuil qui les a frappé racontent avec émotion combien ils se sont sentis aidés lorsqu’il a fallu préparer l’enterrement. Ils étaient en état de choc, désemparés et perdus, ils ignoraient tout des démarches, des cérémonies…ils se sont sentis entourés. Un monsieur se dit encore surpris d’avoir trouvé autant de présence
et de chaleur; une dame, elle, avoue avoir éprouvé une certaine culpabilité, une mauvaise conscience, de demander des obsèques religieuses et de profiter d’un tel accompagnement alors qu’elle ne va que très exceptionnellement à une messe. La petite équipe découvre alors que d’autres personnes présentes se sentent elles aussi un peu gênées, comme embarrassées, vis-à-vis notamment des laïcs qui les ont tant aidés.<<Que doit-on faire en échange ? se demande un monsieur. Aller à la messe ? Comment peut-on renvoyer la balle?>>
Régine explique alors que chaque famille donne beaucoup aux laïcs : à chaque rencontre à chaque préparation, ce que les familles donnent, c’est leur humanité, ce qui se vit dans ces moments, ce sont des valeurs…des valeurs toutes chrétiennes même si on ne les appelle pas toujours comme telles…
Comme une dame s’aventure alors à demander comment se constitue une équipe, comment s’effectue le recrutement pour ce service si particulier qui confronte sans cesse à la douleur et à la détresse, Maryse raconte la genèse du groupe. Rappelant que les prêtres sont de moins en moins nombreux et que l’accompagnement est l’affaire de tous les chrétiens, elle parle du désir qui anime toutes les
équipes : préparer une cérémonie la plus personnalisée que possible…cette démarche convient-elle aux
familles ? Les avis sont unanimes : tous ont apprécié cette personnalisation et le respect de leurs souhaits. Alors que Marie-Joëlle confie combien les équipes redoutent toujours de manquer de justesse et de commettre un oubli, une maladresse involontaire, une dame la rassure:<<Je préfère une cérémonie
avec des laïcs, préparée ainsi ,qu’avec un curé qu’on n’a pas, ou peu ,vu et qui parle pour tous>>
C’est à ce moment-là qu’arrive, tout juste sorti d’une réunion, le Père Christian : comme seules deux ou trois personnes le connaissent, il se présente en s’excusant de passer si tard…et de devoir bientôt repartir pour célébrer la messe de 18h30.S’il ne peut rester qu’une vingtaine de minutes, ce moment suffit pour que les familles s’adressent très vite à lui. Quand une dame raconte avec humour une anecdote de sa
jeunesse qui l’a fâchée avec son curé entêté et avec l’église, tout le monde sourit et le Père Christian demande si d’autres personnes ont elles-aussi un blocage, un souvenir déplaisant. On se met alors à parler d’images qui restent associées à l’Eglise, on évoque le latin, le catéchisme et une dame profite de la présence d’un prêtre pour demander des précisions sur la communion : n’était-il pas obligatoire de se
confesser pour communier ? Ainsi, lorsque Régine, Maryse, Eliette et Marie-Joëlle commencent à offrir quelques rafraîchissements et pâtisseries, c’est tout naturellement que l’on interroge le Père Christian sur le pêché de gourmandise. Tandis qu’une complicité s’établit entre ceux qui cherchent à se remémorer les sept pêchés capitaux, un consensus se déclare haut et fort parmi ceux qui estiment que, décidément, un curé
d’aujourd’hui ne ressemble pas au curé d’avant et que les gens d’église, également, sont bien différents. Une dame souligne qu’avec les obsèques, elle a trouvé chez les laïcs des personnes ouvertes, simples : tout dès lors a été plus facile…
Lorsque le Père Christian est obligé de s’éclipser, il laisse le groupe au moment où les gens, même ceux qui ne se connaissaient pas, se mettent à échanger entre eux. Des dames qui se découvrent voisines parlent de leur veuvage…deux messieurs partagent avec Monique quelques idées et se racontent un épisode de leur vie…Les minutes s’écoulent bien vite et ,lorsque l’heure est venue de se quitter, les familles l’une après
l’autre remercient la petite équipe de ce moment partagé. Pour beaucoup, il s’agit d’un "au revoir" si sincère que, lorsque Maryse, Régine, Marie-Joëlle et Eliette se retrouvent seules et commencent à ranger la pièce, elles se disent que cette première rencontre ne peut rester sans lendemain…