Genre

Aujourd’hui revient sur le devant de la scène la théorie du genre même si c’est plus une base de recherche qu’une théorie.

Avant de poursuivre dans l’entreprise risquée de participer à ce débat, je me mets sous la protection des mots de notre pape François dans son interview pour les études !

Quand j’insiste sur la frontière, je me réfère à la nécessité pour l’homme de culture d’être inséré dans le contexte dans lequel il travaille et sur lequel il réfléchit. Il y a toujours en embuscade le danger de vivre dans un laboratoire. Notre foi n’est pas une foi-laboratoire mais une foi-chemin, une foi historique. Dieu s’est révélé comme histoire, non pas comme une collection de vérités abstraites. Je crains le laboratoire car on y prend les problèmes et on les transporte chez soi pour les domestiquer et les vernir, en dehors de leur contexte. Il ne faut pas transporter chez soi la frontière mais vivre sur la frontière et être audacieux.

Avec le genre nous nous trouvons sur l’une de ces frontières. Beaucoup l’abordent abstraitement, d’un point de vue théorique, biologique, théologique, moral, politique, scientifique, religieux… Plaçons-nous plutôt en personnes qui, confrontées à ces questions sur le terrain, cherchent à dialoguer en vérité avec ceux qu’ils rencontrent. Je ne suis pas intéressé par les débats sans fin à forte connotation idéologique ou politique. 

Tentative de définition

Parler du genre conduit à dissocier le sexe physique ou biologique de l’orientation sexuelle. Il serait insensé de nier l’importance des données biologiques : l’amour est aussi une question d’hormones et les différences sexuelles physiques, avec leurs conséquences sur la procréation, obligent à tenir compte de ce donné naturel. Cependant, l’hétérosexualité n’est pas seulement un donné naturel, elle est aussi un acquis culturel conséquence de l’éducation et des normes de la société dans laquelle nous grandissons. L’approche par le genre montre que l’orientation sexuelle est aussi un choix, au besoin non conforme à la réalité sexuelle biologique.
Une première question se pose alors : qu’entend-on par choix ? Qu’est-ce qui est à choisir ?

L’interrogation a pris racine dans le féminisme. Simone de Beauvoir affirmait : « on ne naît pas homme ou femme, on le devient ». Elle cherchait à mettre à mal le rôle subalterne attribué à la femme par la société : elles ne sont pas « par nature » des êtres inférieurs même si des modèles sociaux historiques ont la vie dure. On dira d’une manière analogue : on ne naît pas français, on le devient.

La question rejoint le débat philosophique séculaire opposant les tenants de l’inné à ceux privilégiant l’acquis. Les partisans du naturel ou de l’inné s’opposent encore à ceux qui insistent sur l’héritage social et historique dans la formation d’un homme. Il semble cependant qu’il y ait une inflexion nouvelle : c’est le choix individuel qui est mis en avant et non la pression sociale. L’individualisme domine aujourd’hui.

La théorie du genre (ou gender studies), née aux Etats-Unis dans les années 70, nous place du côté de l’acquis. Elle s’efforce de dissocier le genre biologique de l’individu, naturel, du désir érotique, essentiellement culturel. Des extrémistes vont jusqu’à nier ou relativiser la différence et la complémentarité des sexes. Poussant à la limite, ils affirment que l’indifférence entre les hétéros, les homos, les bi et les trans est la norme. Le désir, et lui seul, détermine l’orientation sexuelle.

Sommes-nous concernés ?

Restons-en là dans la polémique pour ne pas rentrer dans nos laboratoires. Interrogeons-nous plutôt sur la manière dont nous sommes concernés.

Nous rencontrons des homosexuels que nous pourrions dire « de naissance » parce que rien dans leur  histoire personnelle ne permet d’expliquer leur orientation. Ce n’est pas comme certains garçons habillés en fille pendant leur enfance, ou inversement, qui sont acculés à des choix, qu’ils deviennent par la suite homosexuels ou pas. Comme aussi ceux qui, naturellement efféminés ou « garçons manqués » éprouvent des difficultés, sous le regard et les moqueries des autres, à situer leur propre sexualité. Comment avoir des idées arrêtées dans ces débats difficiles ?

Par contre, reconnaissons que nous sommes concernés. L’histoire de notre sexualité n’est pas linéaire. Chacun passe « naturellement » par des tendances diverses : hétérosexualité, homosexualité, autoérotisme, pédophilie, refus de la sexualité, sexualités multiples, violences… Au cours de notre vie, nous avons eu à faire des choix. Ces orientations ne sont pas uniquement de notre fait : nous y avons été conduits par notre environnement et les interdits familiaux et sociaux dans lesquels nous baignons. Il s’agit cependant de choix personnels, même s’ils sont plus ou moins contraints. Dans notre société, le rejet massif de la pédophilie, par exemple, fait barrage en nous à la plupart des pulsions qui vont dans ce sens et les violences conjugales sont fortement réprimées, pas assez sans doute.

C’est ici que la banalisation de l’homosexualité me pose question si elle est considérée comme un choix parmi d’autres, et « Pourquoi pas ? » diront certains. Nous assistons chez les jeunes à des attitudes ambigües voire ouvertement homosexuelles. Le risque est de prendre pour une orientation « naturelle » l’expression passagère de la complexité de l’affectivité des ados. Ce n’est pas parce qu’une jeune déclare sur son site internet être mariée avec une autre fille qu’elle est homosexuelle. L’adolescence est la période où l’on se cherche à tous les niveaux. Tout peut basculer si une expérience passagère est considérée comme la preuve d’une identité profonde « naturelle ». L’histoire personnelle se bloque alors sur un moment particulier alors que d’autres possibles restaient ouverts. 

évitons de porter un jugement définitif  à partir d’un acte isolé.

Les aspects positifs

Ce qui précède ne doit pas faire oublier les aspects positifs de la théorie du genre. Notre vie est une suite de choix en fonction de ce que nous recevons des autres, de la société et de ce qu’ils nous interdisent. Michel Serres décrit chacun de nous comme une page blanche sur laquelle notre environnement écrit sans que nous en ayons conscience, sur laquelle nous écrivons par les choix que nous faisons face à la multitude des sollicitations et des suggestions, une page que nous organisons enfin pour transformer un agrégat d’influences diverses en une personne structurée et responsable.

Contrairement aux animaux qui sont largement programmés par la nature, nous sommes des hommes pratiquement dépourvus d’instincts, appelés à se construire et à devenir responsables de ce qu’ils sont. Notre avenir n’est écrit nulle part, il est entre nos mains. C’est le défi de l’éducation.

Les interdits

Il me reste cependant une question : notre société libérale supprime progressivement tous les interdits. Tout serait permis tant que cela va dans le sens de l’individualisme, l’homosexualité n’est qu’un aspect. Je cite en vrac : la suppression de droits, la généralisation du travail sans règles, la mise en cause des fêtes, des obligations de solidarité, du respect de la vie, le refus du souci des pauvres, des délaissés, des étrangers, des chômeurs… tout ce qui va contre notre « nature ». On pourrait aussi entrer dans un projet de société cohérent…

Nous qui sommes avant tout épris de liberté individuelle pourrions adhérer au chant des sirènes. Malheureusement pour nos tendances libertaires les interdits et les règles sont essentiels pour notre structuration. La société libérale aime bien les personnes déstructurées, elles sont plus faciles à manipuler et à exploiter. Cela me pose problème…