Ceux de la dernière heure

Matthieu 20, 1-16

Ils ont raison, les vignerons de la parabole. Imaginez-les en train de travailler dans la vigne aujourd’hui, dans la chaleur ou sous la pluie. Si ceux qui embauchent pour la dernière heure sont payés autant que ceux qui ont peiné toute la journée, je comprends que ces derniers récriminent et demandent une revalorisation de leur salaire !

Pourquoi Jésus raconte-t-il cette histoire ? Ce n’est pas pour nous donner des leçons de droit salarial. Il est question ici de l’amour de Dieu, de la vie avec Dieu. Jésus veut dire que cet amour est gratuit, il ne se gagne pas. Pour que Dieu nous aime, inutile de faire des tas de prières, de durs sacrifices, des efforts invraisemblables… Nous-mêmes, dans la vie courante, même si les petits cadeaux entretiennent l’amitié, nous n’avons pas besoin d’en rajouter pour montrer notre amour. Quand ils sont aimés, les enfants aiment leurs parents spontanément. Avec Dieu, c’est pareil. Inutile de dire : « Seigneur, aime- moi ! » L’amour de Dieu est gratuit et notre Père le propose en permanence.

En revanche il est bon de demander : « Seigneur, apprends-moi à aimer » ! Il faut le prier avec insistance, s’adresser à lui avec persévérance mais pas pour des demandes continuelles. Par la prière nous nous ouvrons à lui. Quand nous nous tournons vers Dieu en disant « Aide-moi à être parfait », Il arrive souvent que nous poursuivons en ajoutant : « oui mais pas de suite, il faut que je profite de la vie, parce que je suis jeune, parce que je suis vieux »… On demande Dieu puis on hésite, on voudrait être saint, mais pas trop, on veut bien donner sa vie pour les autres, oui mais pas pour l’instant : je suis trop occupé. Ce n’est pas l’amour de Dieu qui nous fait défaut mais l’envie de nous conformer à sa parole.

Ce qui nous manque le plus, c’est l’envie de l’accueillir et c’est dans ce sens-là qu’il nous faut beaucoup prier : pour demander une ouverture pour que Dieu puisse entrer, pour que son amour puisse venir jusqu’à nous. Prier parce qu’il est déjà là à la porte de notre cœur, il frappe, demandant qu’on lui laisse de la place. Prier, ce n’est pas exiger des récompenses ou un salaire pour notre comportement exemplaire mais demander à Dieu qu’il nous aide à l’accueillir, à faire en sorte que son amour vienne jusqu’à nous et nous transforme. Ce n’est pas un acte magique. 

Prier, d’autant plus que personne ne peut se déclarer digne de l’amour de Dieu, dire : « Je mérite que Dieu m’aime ! » Nous sommes là avec nos pauvres vies et nos péchés, plus conscients encore de nos limites que nous avançons en âge, au moins en principe… Nous voudrions aimer mais sans y parvenir vraiment, nous voudrions nous donner et nous nous crispons sur nos limites. Coincés que nous sommes dans nos petitesses, enfermés dans nos habitudes, comment dire à Dieu : « Je suis digne de toi » ? D’ailleurs, juste avant de communier, nous disons : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir », nous le disons moins traumatisés par nos fautes qu’animés par la certitude que Dieu vient à nous sans attendre que nous soyons dignes de lui … il risquerait d’attendre longtemps ! On ne reçoit pas le corps du Christ comme une récompense, fruit de nos mérites, mais en disant : « j’ai vraiment besoin de toi, sans toi je n’arrive pas à être un homme accompli et encore moins un chrétien ». Le texte d’évangile veut nous le faire comprendre : l’amour de Dieu est gratuit. Il suffit d’ouvrir notre cœur pour qu’il vienne jusqu’à nous. Les sacrifices ne sont pas ce qui intéresse Dieu, de même qu’il n’attend pas notre prière pour donner ce dont nous avons besoin. Il est toujours prêt à donner et il sait bien que nous n’en serons jamais dignes. De notre côté, nous avons à prier pour dégager de la place afin qu’il puisse entrer. Il nous faut communier parce que nous avons confiance en l’amour de Dieu qui, vraiment, nous attend. Le règne de Dieu est gratuit, saurons-nous l’accueillir ?