éloge de la folie

Je viens de lire l’éloge de la Folie d’érasme. Je devrais être habitué et pourtant je suis encore surpris de rencontrer chez un auteur ancien des pensées rejoignant notre actualité et la questionnant. Il est de bon ton de se pencher avec respect sur des auteurs vénérables comme Platon ou Aristote, Kant, persuadé que l’on est de trouver des merveilles dans leurs écrits. Ils demeurent lointains cependant, il est besoin d’un décodeur pour se sentir concerné.
Pourtant, même avec eux ce n’est pas toujours le cas, malgré la poussière des siècles une réflexion peut nous toucher immédiatement, à travers le fatras des interprétations héritées de nos cours de philosophie il arrive qu’une parole vienne jusqu’à nous et nous bouleverse. C’est sans doute ce qu’éprouvent certains recommençants qui, après des années d’indifférence, se rendent compte que sous leurs vieux souvenirs de catéchisme, l’évangile de Jésus peut encore les atteindre et bousculer leur vie.
Bien qu’il s’agisse d’un écrit vieux de quatre siècles, la manière dont érasme fait parler la Folie rejoint nos interrogations. Deux thèmes m’ont particulièrement intéressé. Déjà de son temps il trouvait que les discours des sages, des experts dirions-nous aujourd’hui, enfermaient les gens dans des certitudes bien encombrantes. Il n’y avait pas encore de principe de précaution, mais déjà les intellectuels et les scientifiques avaient la prétention de tout expliquer, d’enfermer dans des démonstrations dont il était impossible de s’échapper, dans une vision du monde excluant toute fantaisie. C’est pour cela qu’il donne la parole à la Folie qui, en mettant son grain de sel dans les certitudes que l’on veut nous imposer, rend l’existence plus agréable.
Quand il écrit que les femmes sont les plus sujettes à la folie il leur fait un compliment : moins enfermées que les hommes dans la rationalité étroite du discours, elles introduisent dans la vie, au moins en principe, le brin de fantaisie et d’insouciance qui manque cruellement à notre époque stressée et enfermée dans ses certitudes étriquées.  En déstabilisant les affirmations qui nous viennent des sages et des savants, le brin de folie qui nous habite parfois ouvre l’avenir, désamorce les angoisses et invite au partage. En transformant en hypothèses les déclarations péremptoires des spécialistes on ne va pas jusqu’à dire que tout se vaut ou que rien n’est vrai, mais que nous pouvons agir sur notre existence, que rien n’est écrit définitivement ni dans notre histoire, ni dans notre nature.  On cherche tellement à nous faire croire qu’il n’y a rien à faire, à nous faire accepter notre impuissance due au poids de la nécessité, que la folie de croire au changement, pour soi et pour le monde, fait du bien : il y a des ouvertures et donc de la place pour oser des projets.
Le deuxième thème qui m’a touché concerne l’église. érasme se moque avec beaucoup d’humour des théologiens, des hommes d’église et des croyants qui se croient fidèles à la tradition en répétant ou en commentant les écrits de leurs prédécesseurs immédiats pour parvenir à toujours plus de précision. Ils croient approcher ainsi de la vérité alors qu’elle n’est pas à chercher dans cette direction. De génération en génération ils font des commentaires sur d’autres commentaires et ce à l’infini, sans s’apercevoir qu’ils s’éloignent ainsi de la source. érasme soupçonne même quelques savants théologiens de son temps de ne pas avoir lu les écritures alors qu’ils n’ignorent rien des subtilités des théologies à la mode. Sous le fatras des règles et des dogmes, par delà les arguties moralisatrices et la hiérarchie des pouvoirs érasme nous invite à retourner à l’évangile et à la personne de Jésus sans qui tout le reste n’a pas de sens. Il ne s’est pas fait que des amis !
Il retrouve chez Jésus ce grain de folie qu’il recherche. Jésus n’a pas perfectionné la religion de son temps, il l’a fait éclater de l’intérieur. Il n’était pas un spécialiste de la Loi et des Prophètes, mais il était habité par la parole de Dieu dont il vivait intensément et qui l’a amené jusqu’à la folie de la croix. Le respect de la tradition ne consiste pas uniquement à suivre la voie de nos prédécesseurs immédiats, il suppose aussi de se replonger régulièrement dans la source de la vie, dans les évangiles sans qui rien ne vaut. Là est le grand tournant que le concile Vatican II a fait prendre à l’église puisque érasme n’a pas suffi.

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