Oser des projets

 Intervention lors d’une session de formation pour les nouveaux responsables en Action Catholique Ouvrière de la région. Oser des Projets est aussi le titre d’un de mes livres paru aux éditions de l’Atelier.

Il n’y a pas si longtemps l’avenir semblait ouvert, nous étions tendus dans l’attente de lendemains qui chantent au point que certains nous reprochaient de ne pas vivre le présent tellement nous étions tendus vers l’avenir, en particulier nous les chrétiens. Que nous est-il arrivé pour que nous nous recroquevillions désormais sur l’immédiat ? Notre espérance est étriquée et notre foi se limite souvent à un rapport vertical avec Dieu, dans l’immédiateté de la prière.
Le capitalisme s’est durci rendant de plus en plus hypothétique les lendemains qui chantent. Loin de s’étendre, les conquêtes sociales sont mises en cause et, d’offensif, le mouvement ouvrier est passé à la défensive, essayant de sauver ce qui peut encore l’être. Les progrès que l’on peut espérer de l’avenir ne sont pas assurés tant que l’aujourd’hui n’est pas stabilisé. Difficile de choisir la vie tant que l’angoisse domine.
À l’étranger, les mouvements de libération s’embourbent dans la corruption ou la dictature. Les sciences qui nous promettaient un progrès continu et la victoire sur toutes les maladies montrent les limites de leur vision et la recherche est reprise en main par les puissances d’argent. Le coup de massue vient de l’écologie. Nous croyions à un homme maître de la nature et pouvant en user à sa guise et nous nous trouvons pris dans un système dont nous faisons parti, habitants d’une planète qui nous permet de vivre mais qui est fragile, participants d’une nature qui réagit quand nous ne la respectons pas suffisamment.
Pour beaucoup dans la mouvance écologique, l’homme a perdu sa position hégémonique dans le monde et quand il est encore mis au centre, ce qui n’est pas toujours le cas, il montre ses fragilités et ses limites.
L’espérance que portait la politique s’est effritée elle aussi. Plus grand monde ne pense qu’il suffit qu’un groupe prenne le pouvoir pour que la réalité se transforme en profondeur. Les promesses n’aboutissent pas, les programmes se perdent dans les sables, le réel résiste aux efforts de transformation au point de nous faire désespérer de la possibilité d’un changement. L’avenir semble bouché.
Le plus inquiétant sans doute est que l’homme n’évolue pas. On avait pensé qu’il pouvait changer petit à petit, que, libéré de certaines entraves, de ses aliénations il allait grandir, et non seulement il est toujours enfermé, peut-être de plus en plus, mais il semble même s’enfoncer dans la violence et dans un individualisme égoïste. Peut-on encore croire en l’homme et même au message d’amour de Jésus si rien ne bouge après deux millénaires de christianisme ?
Comment retrouver l’envie d’espérer ?
Perspectives et utopies
Pour espérer il faut retrouver sa confiance en l’avenir, être attiré par le futur, décoller son nez du présent et se libérer de la pesanteur du passé. Cela passe par la redécouverte des perspectives et des utopies et tout particulièrement par la révision de vie, moment privilégié où nous abordons des temps forts de notre vie que nous relisons en église, à la lumière des analyses des organisations et de l’écriture.
Perspectives
Les perspectives sont des espérances à moyen terme : réussir sa vie, son couple, être heureux, éduquer ses enfants, être bien au travail, faire fonctionner une association, un syndicat, trouver sa place dans la société, se former, s’engager politiquement.
Utopies
Les utopies visent le long terme. Elles sont par essence irréalisables mais elles montrent des directions, elles servent de lignes de fond à l’espérance.
Il s’agit de notre foi en la bonté de l’homme par exemple ou de la foi en la justice, en l’amitié, en l’amour. L’utopie nous tend vers la paix, la sainteté, la perfection. Elles sont personnelles, l’exemple en est pour nous la personne de Jésus ou collectives et c’est ce qu’on appelle le Royaume en église.
Ces utopies se fondent sur des croyances philosophiques ou idéologiques, elles sont parfois appuyées sur la foi en Dieu qui a créé l’homme à son image, dans le Christ qui est notre modèle, sur la promesse de Dieu de faire toutes choses nouvelles, dans la confiance en sa présence et dans le fait qu’il reprendra tout ce que nous avons entrepris pour lui donner une forme accomplie dans son Royaume.
Nos utopies, à l’image de notre foi, concernent les hommes pris individuellement dans la mesure où notre modèle est Jésus, elles ont aussi une dimension sociale quand elles tendent vers le Royaume qui vient, promis par Dieu, et dont il nous propose de participer à la construction.
Les utopies peuvent être désespérantes : elles vont tellement loin que nous nous sentons incapables de les réaliser.
La foi nous permet de garder confiance dans l’avenir alors même que nous constatons les limites de nos réalisations, si Dieu achève ce que nous commençons tout ce que nous faisons vaut la peine. L’avenir est ouvert si tout ne dépend pas de nous. Les utopies, si elles sont irréalisables à notre niveau, ont pris chair dans la personne de Jésus et trouveront leur accomplissement dans le Royaume qui vient ce qui porte notre espérance et nous permet de garder des perspectives.
À quoi servent utopies et perspectives ?
Certains philosophes reprochent aux chrétiens de s’évader du réel en rêvant d’un avenir hypothétique, ce qui nous empêcherait de profiter du présent. Il faudrait que le contraire soit vrai et que la confiance dans l’avenir nous rende plus inventif et plus audacieux dans la manière d’aborder le présent, sans empêcher le réalisme.
Regard de détective
Une des fonctions de l’espérance est de permettre de regarder l’aujourd’hui avec un regard de détective, attentif à découvrir dans le présent ce qui porte les promesses de l’avenir, ce qui est en germe et ne demande qu’à grandir. Sans l’espérance la révision de vie n’a pas de sens et cette dernière la fait grandir et lui donne des bases réelles dans la foi.
Parce que je crois que l’homme est à l’image de Dieu, je ne vais jamais désespérer de celui que je rencontre, malgré les difficultés que je peux éprouver à son égard. Je vais sans cesse rechercher en lui les traces de l’image qui le constitue pour l’aider à les développer, je vais être attentif à ce qui, en lui, est promesse de renouveau. L’essentiel est de quitter les premières impressions, les évidences, que tout le monde voit dans un premier temps, pour chercher plus loin ce qui est porteur d’avenir.
Bien sûr cela suppose de chercher, à la manière d’un détective qui voit ce que personne ne voit, à la manière du Christ qui découvre chez l’autre non pas seulement le positif, ce qui serait une manière de refuser de voir la réalité, mais ce qui est porteur d’avenir ce qui est un engagement en vue d’un changement. Il dit souvent : « va ta foi t’a sauvé ! »
Cette vision n’est pas qu’individuelle, elle concerne également des groupes et la société. Les paraboles du Royaume invitent le chrétien à voir dans le monde qui l’entoure les promesses de l’avenir. On ne s’engage que dans la mesure où l’on croit aux groupes dans lesquels on entre. Pour y croire, il est nécessaire de découvrir en chacun en quoi il prépare un avenir meilleur ou au moins un présent plus positif. D’où l’importance du regard de détective. Il ne s’agit pas de s’illusionner en croyant qu’un groupe peut changer le monde, mais d’avoir confiance en certains qui peuvent apporter des avancées dans le sens de ce que nous espérons.
Le regard de détective a besoin d’être éclairé. Ce n’est pas chaque individu, illuminé par ses espérances, qui peut détecter ce qui est en promesse dans le réel. Nous avons besoin des autres, des analyses des organisations et des mouvements, d’idéologies qui mettent de la lumière dans le flou quotidien, des approches des sciences, des techniques, etc. Le danger est de prendre ses désirs pour la réalité, ses enthousiasmes personnels pour des lumières de l’Esprit Saint. Des apports extérieurs nous permettent de prendre le recul nécessaire pour analyser sainement. D’où la nécessité de se former.
Trouver les possibles
Le regard de détective nous permet de nous recentrer sur le réel, sans rêver outre mesure, mais en essayant d’y découvrir des possibles. Si les utopies et bon nombre de nos perspectives ne sont pas complètement réalisables, elles nous permettent de regarder le réel avec réalisme en privilégiant non pas ce qui se manifeste massivement : la violence, la mort, la régression, la chute des valeurs… mais au contraire ce qu’il est possible de réaliser et qui amènera du neuf.
Cette recherche demande une constante adaptation au monde puisqu’il est en évolution constante. On ne saurait en rester aux opinions toutes faites.
Les utopies et la foi nous permettent de nous engager, même si nous pensons que la réalisation de ces possibles n’aura qu’un intérêt limité, une efficacité limitée. L’essentiel est que nous allions dans la bonne direction. La réalisation plénière n’est pas de notre ressort ce qui ne nous empêche pas d’avancer, ni de mettre en œuvre des possibles.
Il ne s’agit pas pour autant d’en rester aux bonnes intentions, de papillonner en se faisant plaisir ou en faisant plaisir aux autres sans entrer dans des perspectives réelles. Il ne s’agit pas davantage de se contenter de prier en laissant à Dieu la responsabilité de la réalisation de nos attentes. Celui qui prie sans engager dans la réalisation de ce qu’il demande est un hypocrite qui ne souhaite pas assez ce qu’il demande pour se risquer dans une action. On peut relire dans cette ligne la lettre de saint Jacques ainsi que 1 Jean 4, 20.
Par contre la foi nous apprend la patience. Le Royaume est une promesse et nous n’avons pas à nous décourager parce que nous trouvons qu’il n’arrive pas assez vite. Tout ce que nous faisons hâte sa venue et nous verrons sa réalisation, si ce n’est pas dans cette vie, ce sera dans l’autre. Tout ne dépend pas de nous, mais nous avons à chercher l’efficacité en sachant que l’avenir reste ouvert. Il ne faut ni baisser les bras, ni vouloir à toute force que ce que nous souhaitons arrive dans l’immédiat, ni se débarrasser de nos attentes sur Dieu ou sur une organisation. Par contre il nous faut réaliser ce qui est possible à notre niveau et impulser des mouvements vers ce qui est souhaitable, quand ce n’est pas réalisable dans l’immédiat.
Réaliser des projets
L’efficacité suppose donc une espérance, une analyse qui nous permette de détecter les possibles, mais aussi la construction de projets réalistes, images de ce que nous voulons réaliser. Les projets font le lien entre le futur rêvé et les possibles détectés, ils permettent de faire passer dans le réel ce qui n’est d’abord qu’une construction raisonnable. Ils doivent être à la fois ancrés dans la réalité et conformes aux aspirations, aux orientations choisies. Ils sont la caractéristique de l’homme, seul capable de projeter ainsi ce qu’il pense dans le futur.
Les projets sont parfois un engagement personnel, mais très souvent ils viennent de plus loin que les personnes. Oser des projets consiste alors à entrer dans des projets politiques, syndicaux, associatifs, idéologique où la place de la personne humaine est centrale.
Le passage à l’acte, réfléchi, est une étape essentielle. Beaucoup en restent à leurs rêves ou bien se laissent porter par les événements qui s’imposent à eux. Ils sont soumis à ceux qui les dominent et masquent leur incapacité à prendre des initiatives derrière une soi-disant fatalité qui ferait que tout est déjà programmé ou bien accessible uniquement à quelques privilégiés. Certains aussi ne sont capables d’imaginer que des projets grandioses qui se révèlent rapidement impossible à réaliser ce qui les décourage vite.
Il est donc important de mettre en lumière des possibles réels, ouvrant des perspectives dans ce qui est vécu. Indispensable aussi que les projets qui se fixent sur eux soient réalistes, réalisables par ceux qui les mettent en place, ou légèrement au-dessus de leurs capacités pour qu’ils n’entraînent pas de déception trop grande en cas d’échec. Il faut éviter en particulier de confondre les utopies et les projets, de ne pas s’engager dans des entreprises sans issue, même si chacun des projets doit garder une utopie en ligne de mire. Celui qui veut libérer le monde des puissances d’argent doit éviter de croire qu’une entreprise limitée suffira à y parvenir. Par contre, il est important de mettre en œuvre des projets permettant de faire quelques pas dans cette direction.
Figures exodales
Il est indispensable pour garder l’espérance que certains projets se réalisent et qu’ils constituent même des temps forts de notre existence personnelle et collective que nous gardons en mémoire. Je reprends l’expression de « figures exodales » en souvenir de l’Exode, la sortie d’Egypte du peuple d’Israël. Cette sortie est devenue la figure emblématique de toute libération, elle est restée dans la mémoire du peuple comme une référence, une preuve qu’il est possible de sortir de l’esclavage. Cet événement a pris une telle place dans l’imaginaire qu’il a été fêté chaque année et Jésus lui-même a célébré la Pâques avec ses disciples juste avant sa mort en particulier.
L’image de la sortie d’égypte a été reprise tout au long de l’histoire d’Israël lors du retour d’exil par exemple, décrit comme un nouvel exode, pour parler de la mort du Christ l’évangile de Luc la décrit comme un Exode. Il n’est pas choquant qu’un Moïse noir  chante « let my people go » pour inviter les esclaves à se libérer de leurs chaines et nous-mêmes relisons parfois notre histoire comme une histoire de libération à la lumière du récit de la sortie d’égypte.
Nous aussi nous avons besoin de récits de références, de raconter ce qu’ensemble nous avons vécu de fort pour nous prouver et prouver à d’autres qu’il est possible que des projets aboutissent. L’histoire ouvrière que l’on évoque est utile pour nous faire découvrir que nous sommes partie prenante d’une histoire marquée par des temps forts. Un des rôles de la révision de vie est de mettre en lumière des passages de notre vie qui ont été marquants. Sans elle nous passerions facilement à côté de leur importance. Grâce à elle, nous les partageons ensemble, nous les analysons à partir des moyens qui sont à notre disposition, nous les prions à la lumière de passages de la Bible et ils prennent ainsi un relief particulier, sortant de la banalité. Parfois nous en faisons état dans des célébrations, nous en faisons des récits qui se racontent : moments de solidarité, grands rassemblements, victoires sur l’adversité, avancées personnelles ou collectives…
Relecture et confrontation sont deux étapes essentielles pour s’approprier ce qui est important dans notre vie personnelle et collective. Il ne s’agit pas uniquement de dire ses raisons de vivre, de lutter et d’espérer et s’ouvrir à la foi des autres mais bien de partager des expériences fortes qui sont pour nous la preuve que notre manière de nous mettre à la suite de Jésus construit l’homme. Notre double fidélité ne s’ancre pas seulement dans des principes mais dans des temps forts dont nous pouvons témoigner.
Quand nous nous retournons sur notre passé, ce sont ces moments forts qui reviennent en priorité, comme des lumières qui jalonnent notre parcours. Dans les moments difficiles, dans les périodes de doute, c’est à eux que nous faisons appel et ils nous aident à repartir.
Le passé
Il y a diverses manières de se tourner vers le passé. Certains le font avec nostalgie, ils y voient le souvenir de temps où tout allait mieux, où les gens étaient plus militants, avaient de la morale, étaient tournés vers les autres… Leur espérance se limite alors à un désir de revenir en arrière, de retrouver les structures et les idéaux qui nous faisaient vivre. Il y a des nostalgiques d’un peu tout : du mouvement ouvrier, de l’église, de la paysannerie… C’est dans l’aujourd’hui qu’il faut vivre l’espérance et la réaliser.
Pour autant, le rappel de l’histoire proche ou lointaine est fécond dans la mesure où il fait la démonstration que notre monde est ouvert au changement et qu’il n’y a pas de fatalité. Il y a beaucoup d’illusions dans l’aspiration au retour en arrière et bien peu voudraient vivre comme leurs grands parents. Il s’agit d’une manière stérile de vouloir changer en se tournant vers les rêves du passé, une sorte d’idéologie régressive.
D’autres sentent sur eux le poids du passé, de leurs parents, de leur lieu d’origine, de leur éducation, des chances qu’ils n’ont pas eu au départ. Ils se sentent enfermés dans le carcan de leur héritage, incapables de créer du neuf parce qu’ils sont trop marqués. On parle de résilience quand des personnes parviennent à vaincre la lourdeur de leur passé. Ce fardeau est encore plus lourd dans les sociétés traditionnelles où la vie consiste à reproduire ce que les anciens ont fait. Il est rare dans nos pays que ce danger subsiste, nous serions plutôt sans repères, sans références à un passé.
Le poids du passé fait donc parti de ce qu’il s’agit de secouer si l’on veut vivre dans l’espérance. D’où la nécessité de considérer l’avenir comme ouvert, le présent habité de possibles et de devenir capable de lire dans le passé les figures exodales qui montrent combien nous avons été capables à certains moments de notre vie d’expérimenter de vrais temps de libération. Le passé n’est plus alors un ensemble de recettes à répéter mais le réservoir d’exemples dont on peu s’inspirer pour créer du neuf et qui sont porteur d’espérance.
Vivre selon nos utopies
L’espérance est enfin quelque chose à vivre maintenant. On nous accuse régulièrement de ne pas vivre dans l’aujourd’hui tellement nous sommes tendus vers le Royaume qui vient. C’est un reproche que nous méritons de moins en moins, malheureusement d’un certain côté si cela signifie que nous perdons l’espérance.
Un poème de Brecht m’a toujours choqué :

Vous qui émergerez du flot
Dans lequel nous avons sombré,
Pensez
Quand vous parlerez de nos faiblesses
Aux sombres temps
Dont vous serez sortis.

Car nous allions, changeant plus souvent de pays que de souliers,
A travers les luttes des classes, désespérés,
Quand il n’y avait qu’injustices et pas de révolte.

Et nous le savons pourtant:
Même la haine de la bassesse
Déforme les traits.
Même la colère contre l’injustice
Rend rauque la voix. Ah ! nous,
Qui voulions préparer le terrain pour un monde amical,
N’avons pas pu être amicaux.

Mais vous, quand on en sera là,
Que l’homme sera un ami pour l’homme,
Pensez à nous
Avec indulgence.

                Bertold Brecht

Il nous invite à regarder avec indulgence ceux qui se sont battus pour des causes essentielles sans pouvoir vivre conformément aux valeurs qu’ils prônaient. Il ne me semble pas que ce soit une bonne manière de faire, en particulier pour les croyants en Jésus-Christ. Il est vrai que les temps sont durs mais celui qui se bat pour la justice doit être juste, celui qui a de la haine pour la bassesse doit avoir de la compassion pour ceux qui manquent de hauteur de vue tout en tentant de les faire évoluer, ceux qui parlent d’amitié est d’amour doivent en vivre tout de suite.
Il ne s’agit pas de donner l’exemple. Celui qui est dans cette perspective est constamment sous le regard des autres à qui il tente de faire comprendre la supériorité de ses choix. Nous n’avons rien à prouver par nos attitudes, mais si nous sommes vrais dans nos manières d’être, dans nos façons de suivre le Christ, d’espérer et de construire un monde meilleur avec l’humilité de celui qui est sans cesse en train de recommencer, il faut espérer que cela se verra. Si nos choix nous rendent heureux, notre joie ira jusqu’à ceux qui nous entourent sans que nous ayons à en faire la démonstration.
Surtout que nous ne sommes pas les seuls à pouvoir apporter des raisons de vivre et d’espérer. La justification du dialogue repose sur le fait que, bien que vivant une expérience originale, nous sommes convaincus que ceux que nous rencontrons vivent aussi de l’Esprit de Dieu et que l’enrichissement de l’échange va dans les deux sens. Le regroupent vient de la même conviction de foi : l’Esprit dépasse les frontières des convictions que nous partageons dans nos groupes. Le regroupement et la diversité sont des expériences qui ouvrent à Dieu. Ils rappellent que les projets humains sont partiels, fragiles et limités. Aucun d’eux n’épuise la promesse d’avenir que Dieu laisse entrevoir.
Le Royaume de Dieu est déjà là, chaque fois que des gens s’aiment, « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. » 1 Jean 4, 7-8. Le Christ est présent dans les délaissés que nous rencontrons « chaque fois que vous l’avez fait pour le plus petit d’entre les miens c’est à moi que vous l’avez fait » Matthieu 25, « Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. » Matthieu 18,20, « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin de l’âge. » Matthieu 28,20, les derniers mots de son évangile, « Celui qui aime son frère demeure dans la lumière » 1 Jean 2,10… C’est cela qui nous rend heureux tout de suite. Nous n’avons pas à attendre un futur hypothétique pour commencer à vivre selon nos espérances. Si nous espérons des lendemains meilleurs et si nous participons à leur construction notre aujourd’hui est déjà habité par l’amour de Dieu et cela nous fait vivre.
« Être en ACO est une joie pour ceux qui en font l’expérience. Celle-ci doit être partagée et proposée largement pour dire ce que le mouvement fait vivre. »

Je voudrais dire en terminant, et ce n’est pas une manière de contredire ce qui précède, qu’il est parfois important d’agir en fonction de nos utopies. Oser des projets suppose des démarches construites et réalistes. Parce que nous sommes des hommes, intégrés dans une société dont nous ne cherchons pas à nous évader, il nous semble important de mener des actions efficaces en évitant de nous lancer dans des aventures sans lendemains. Reconnaissons pourtant que ce n’est pas de cette manière que Jésus s’est comporté la plupart du temps. Il a souvent manqué de réalisme, refusant d’entrer dans des démarches qui auraient pu pourtant lui apporter un succès immédiat. Il a refusé de soulever les foules et de s’engager dans un combat politique. Il a toujours privilégié les actions conformes à ce qu’il pensait du Royaume. L’important pour lui est l’amour parce que quand on aime on vit de Dieu, l’essentiel est que la Bonne Nouvelle soit annoncée aux pauvres parce que c’est le premier signe du Royaume, il est nécessaire de refuser les compromissions avec les pouvoirs en place ou avec les formes religieuses dominantes…
« Il faut » le faire, un point c’est tout, que cela soit réaliste ou non, que cela entraine des rejets ou que cela attire. Son attitude l’a conduit à la croix mais il a impulsé un élan qui dure encore, il a initié un changement radical dont nous ne voyons encore que les prémices mais qui conduit au Royaume.
Nous sommes pris entre deux types de projets dont nous éprouvons les contradictions : celui de rendre notre monde plus habitable immédiatement et celui de vivre et de construire un monde pleinement réconcilié qui n’apparaît encore que sous forme de promesse et de réalisations parcellaires dont la brièveté nous fait souffrir.

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