Amour toujours ?

 (Jean 15,4)

L’invitation faite par Jésus de demeurer en lui nous laisse perplexe : impossible d’être tout le temps en prière en ayant conscience que Jésus est en nous et que nous sommes en lui ! On n’y arrive déjà pas avec ceux que nous aimons ni même avec nos morts : ceux que nous avons aimés, qui ont vraiment fait partie de nous et que nous aimons encore ne sont pas en permanence dans nos pensées… 

Ce que veut dire Jésus se rapproche peut-être de ce que nous vivons avec des intimes, des amis de longue date. Même après une longue absence, lors de nos retrouvailles nous nous retrouvons presque instantanément en communion : ce que nous avons vécu avec eux nous permet de nous reconnecter rapidement, de reprendre sans trop de difficultés le fil d’une conversation un temps interrompue. 

Je pense que Jésus suggère quelque chose de cet ordre : s’il est impossible de penser à lui constamment, on peut, comme lors de retrouvailles avec un vieil ami, reprendre rapidement le dialogue, se retrouver proches, être bien avec lui. Sans longs discours, on renoue assez rapidement avec la confiance. Bien sûr, cela demande au préalable d’être parvenus à une certaine familiarité avec Jésus par des temps de prière, par une lecture régulière de la Bible, par la participation à la communion, à la messe … on parvient vraiment, de cette manière, à faire de Jésus un intime. Il suffit alors de quelques instants pour se retrouver en phase avec lui, comme avec un vieil ami. 

L’accès à une telle familiarité suppose d’ailleurs les deux mouvements dont nous parle l’évangile : que nous demeurions en lui et qu’il demeure en nous. Cet aller-retour est essentiel parce qu’il intègre les deux façons d’être avec Jésus. D’un côté on va vers lui, on se sent bien avec lui, on s’abandonne à la manière de l’enfant qui se blottit contre celui qu’il aime quand il se sent perdu ou qu’il a simplement besoin d’affection. Se réfugier dans les bras de quelqu’un en cas de besoin, être enveloppé de sa présence, baigner en lui : c’est un peu cela, demeurer en lui… si l’on en croit au moins saint Jean de la Croix : en sécurité même dans les ténèbres. Il ne s’agit pas d’ailleurs d’une simple question de sentiment : c’est par la foi que nous accédons à cette conviction que nous sommes en Dieu, protégés par lui, en Jésus, enveloppés par lui, par son amour. Demeurer en lui, aller vers lui et se sentir bien avec lui, c’est cela la prière, que les mots viennent ou non.

Un mouvement inverse vient en complément du premier : la conviction que Jésus vit en nous, qu’il vient nous habiter, qu’il n’est pas à l’extérieur, « plus intime à moins que moi-même » écrivait saint Augustin. C’est l’autre versant de la prière : sentir que Jésus vient en nous, qu’il fait sa demeure en nous, qu’il s’installe en nous. Nous sommes alors plus proches de la mystique de sainte Thérèse d’Avila. Certes, il ne vient pas sans effort de notre part pour l’accueillir, le prier, lui laisser une place dans nos pensées, lui raconter notre vie. Mais de telles purifications aboutissent à la conviction qu’il est en nous, qu’il est notre vie, qu’il nous fait vivre… 

Ces deux mouvements sont complémentaires : ils alternent et se complètent. Il est des moments où nous ressentons le besoin de sortir de nous-mêmes pour aller vers lui en essayant de nous dépasser pour rejoindre ce Jésus qui nous attend. Et d’autres, peut-être en même temps, où nous préférons nous ancrer dans la conviction qu’il vient en nous et que nous avons à l’accueillir. Peut-être que la première démarche demande moins d’efforts s’il s’agit surtout de s’abandonner, d’aller vers lui pour se reposer en lui. L’accueillir est souvent un peu plus compliqué : il y a du ménage à faire, des obstacles à déblayer qui empêchent Jésus de venir jusqu’à nous. Quoi qu’il en soit, il y a bien du mouvement dans l’invitation de Jésus à demeurer en lui comme lui demeure en nous ! Ce n’est pas le moment de nous endormir sur des certitudes…

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