Il est 16h, le cours se termine. J’ai eu un peu de mal à capter l’attention des jeunes sur ce texte, dont la langue du XVIIIe° siècle est difficile pour eux … pourtant cet obstacle surmonté, nombreux sont ceux qui apprécient l’actualité du problème traité…
Nous sommes à 2 mois du Bac, et la fatigue aidant, certains ont plus ou moins décroché… Mais Youssef m’inquiète particulièrement, cela fait plusieurs fois que j’essaie de comprendre ce qui se passe : retard au cours de 1° heure, travail non préparé, regard perdu dans le vague, somnolence… Ce n’est pas un élève parfait mais intelligent et qui jusqu’à présent maintenait le cap…
Depuis plusieurs semaines, je discute avec lui de temps à autre après le cours. Je l’apprivoise… mais ce n’est pas simple. J’ai cru comprendre qu’il vit avec sa mère et un beau-père avec lequel il ne s’entend pas ; et ne voit son père, qui est dans une autre ville de la région, que rarement.
Encore une fois, je le prends à part, après le cours :
-" Youssef, tu as de plus en plus de mal à suivre, tu pourrais peut-être m’expliquer ce qui ne va pas, pour que je puisse t’aider efficacement.
-C’est toujours pareil, vous n’y pouvez rien.
– On peut en parler, les cours sont finis, je t’offre un café ? ".
On s’installe, pas très loin. L’air bué et regardant ces baskets :
-"Si vous voulez, mais pourquoi vous perdez votre temps ?
-On est à 2 mois du Bac, je ne voudrais pas que tu rates cette épreuve … tu es capable de la réussir…
-Vous croyez ?
– Oui, je crois… . mais à condition de ne pas lâcher prise maintenant. Jusqu’à ces derniers temps, tu as fait un travail intéressant.
– Je ne suis intéressant pour personne…. Même ma mère… elle ne veut plus de moi…
J’ai eu 18 ans la semaine dernière, elle m’a mis à la porte.
– Où vis-tu alors ?
– Où je peux, mais ça va aller…
-Je vais voir avec Mme X pour la cantine et prendre un rendez-vous pour toi avec l’assistante sociale pour l’hébergement.
– Je ne veux pas mendier, je vais me débrouiller… Pourquoi vous vous occupez de moi, c’est pas votre travail ?
– Je l’ai fait pour d’autres.
– Je sais, Jessica m’a dit… Pourquoi ?
( Comment le remettre debout …)
– Les uns comme les autres, vous êtes uniques et tous dignes qu’on s’intéresse à vous. On vous confie à moi pour vous enseigner la littérature, vous apprendre à réfléchir, vous aider à devenir adulte : ça c’est mon boulot.
– Et le reste ? Pourquoi ?
– Parce que ma vie n’a de sens que si je la mets au service des autres. C’est du moins ce que je crois, parce que je suis chrétienne.
– Ah ? Ma mère est musulmane…
– Réfléchis, tu comprendras sûrement. Et puis, on pourra en reparler… si tu veux. "