
L’empressement de certains évêques, et d’autres responsables d’Église, à condamner (avec assez de discernement ?) les malversations commises par quelques-uns de leurs confrères ou par d’autres ministres ordonnés, et les demandes de pardon qui vont avec, me laissent mal à l’aise. N’est-ce pas, de la part de la hiérarchie, une manière de se dédouaner devant l’opinion publique, de dire : « Ce n’est pas nous, c’est eux ! » Or il n’y a pas qu’eux !
L’interrogation demeure : oui ou non, la crise qui éclate aujourd’hui dans l’Église est-elle systémique ? Si c’est le cas, elle n’est pas due qu’au comportement condamnable de quelques brebis galeuses. Tous les chrétiens ont à s’interroger.
S’il ne s’agissait que d’individus isolés, il suffirait effectivement de les mettre à l’écart pour purifier le corps tout entier mais si l’institution est atteinte à sa racine, le sacrifice de quelques boucs émissaires masque les véritables problèmes au lieu d’y porter remède.
Ne faut-il pas parler de système quand l’Église est considérée par un certain nombre de pervers comme un refuge relativement sûr où ils pourront se laisser aller à leurs penchants ? Comment se fait-il qu’elle attire en son sein et donne des responsabilités à autant de personnes psychologiquement perturbées ? Pourquoi ces dernières sont-elles à ce point protégées par une culture du secret ?
Certes, l’esprit de corps, l’unité du presbyterium comme on dit, peut être une bonne chose s’il permet à des responsables d’Église de tenir dans des moments difficiles. Mais s’il sert à masquer les comportements coupables de certains de ses membres, il ne s’agit plus de solidarité mais de dissimulation et c’est un délit.
De plus, quand des hommes vivent systématiquement à part, se constituent en groupes fermés pour se protéger à l’écart des autres, entretiennent une sourde misogynie…, il y a de fortes chances pour qu’ils perdent le contact avec le peuple chrétien. Si, qui plus est, ils sont reconnus comme gardiens de dogmes qu’ils sont censés connaître et maitriser mieux que quiconque, ils y gagnent un prestige exceptionnel. Leur proximité revendiquée avec le divin leur permettrait d’avoir un avis éclairé sur la plupart des problèmes de notre monde…
Quand, en outre, ils sont considérés par un grand nombre comme pourvus de qualités supérieures du fait de leur ordination, s’ils sont respectés, encensés, s’ils sont reçus par les gens en vue comme des êtres dont il faut tenir compte, si on tolère leurs petits côtés, si on leur laisse toujours le dernier mot, si on leur ouvre la possibilité d’intervenir dans l’intimité des personnes…, il y a peu de chance pour qu’ils parviennent à se remettre en cause et qu’ils acceptent d’entrer simplement en dialogue avec leur entourage.
Disons-le clairement : l’essentiel du danger ne vient pas des qualités et des défauts des uns ou des autres mais d’un statut qu’on leur attribue et qui les assure dans une posture où ils se complaisent. Le cléricalisme est un péché originel de l’institution ecclésiale.
Dans ces conditions, le sacrifice de quelques boucs émissaires ne suffira pas à endiguer l’éclosion des dérives dans l’Église. Les fautifs ne sont pas à considérer comme les causes du mal profond qui ronge l’institution mais comme les symptômes d’une crise qui trouve sa source dans un système qui a pris beaucoup trop de liberté avec le message de Jésus Christ en pervertissant la notion de service.
Alors, comment se fait-il que tant de chrétiens se taisent, se soumettent, rentrent dans le rang, renoncent à prendre leur place ? Ceux qui râlent dans leur coin n’aident pas davantage à débloquer la situation même si c’est, pour eux, une manière de se soulager… Quant à ceux qui partent à cause des scandales, plus ou moins discrètement, ils persistent à confondre l’Église avec sa hiérarchie, ils renoncent à l’essentiel. L’Église, c’est un peuple de chrétiens qui se réunit autour de la parole de vie de Jésus, transmise par les Écritures, que nous essayons de faire passer dans des actes, du mieux que nous pouvons, avec ou malgré nos pasteurs.