
Difficile de vivre le jour des Morts au Mexique sans se laisser interroger : du T-shirt aux montgolfières, les squelettes sont partout, sous différentes formes… On trouve des petits autels en grand nombre dans les rues, dans les maisons avec la photo d’un défunt, une profusion de fleurs, de souvenirs, de symboles religieux, des provisions et bien sûr des têtes de mort… Les familles se regroupent sur les tombes pour manger avant d’inviter les défunts à poursuivre les agapes chez eux ; il y a des défilés, des chants, des spectacles… La mort est omniprésente avec un mélange de dérision et de gravité… Ce n’est pas macabre, il s’agit plutôt de la recherche d’une familiarité avec la mort, l’exact contraire de ce qui se passe dans nos sociétés où on cherche à l’occulter par tous les moyens.
Cette présence de la mort m’a renvoyé à un texte de Brassens qui chante la rencontre d’Oncle Archibald avec « sa Majesté la Mort ». Cette dernière est un grand personnage à aborder avec respect, d’où le titre qui lui est donné et qui ne manque pas de noblesse. Pourtant chez l’oncle, la tentation de la dérision demeure : son premier réflexe est de se moquer gentiment de celle qu’il vient de rencontrer. La mort, cependant, se révèle ni ridicule ni terrifiante et l’oncle finit par se laisser séduire par ses promesses :
Si tu te couches dans mes bras
Alors la vie te semblera plus facile
Tu y seras hors de portée
Des chiens des loups des hommes et des
Imbéciles…
De même, l’envie nous prend parfois de nous laisser aller et de rechercher la paix, à distance des lourdeurs de l’existence. C’est ce que fait l’oncle de la chanson qui part, bras dessus bras dessous, pour des noces avec la mort.
Toutefois, la séduction de la mort n’en reste pas là, me semble-t-il. Sa Majesté nous place devant une alternative que nous aimerions bien éviter et qui, néanmoins, s’impose à nous, que nous prenions le parti de Pascal ou celui des stoïciens.
Ainsi, ou bien, si on en croit ces derniers, elle n’ouvre sur rien et nous retournerons au néant dont nous sommes sortis par hasard. C’est dommage mais pourquoi paniquer pour autant ? La peur ne changera rien : elle ne fait que gâcher notre vie présente par l’évocation inutile d’une fin inéluctable. Le plus important est de nous demander comment aborder dans la paix, l’amour et le partage, le temps qu’il nous reste … Peut-être la dérision aidera-t-elle certains à envisager la fin d’une manière plus apaisée.
Ou bien, et on retrouve Pascal, un Amour nous attend, une puissance de vie qui va nous submerger, nous emporter, donner un sens à toutes nos interrogations, accomplir notre vie au-delà de nos espérances les plus folles, en communion avec ceux que nous avons aimés et avec les autres… Comment ? Nul ne le sait. C’est à vivre (c’est le cas de le dire…), pas à imaginer ! Seul Jésus en est revenu pour nous en parler. En attendant, sous le regard de Dieu, nous pouvons profiter de l’existence qui nous est offerte.
Où est la vérité ? Là est la grandeur de sa Majesté la Mort : elle seule apporte la solution à la plus grande énigme de notre vie, nous pourrions lui en être reconnaissants ! Certes, l’inquiétude qui nous prend régulièrement est bien compréhensible parce qu’il va nous falloir quitter ce que nous possédons déjà et dont nous sommes sûrs. Mais la perspective du saut que nous allons devoir faire ne manque pas d’intérêt non plus : savoir enfin ! Tout ou rien !
Entre ceux qui croient à un avenir et que l’on accuse de prendre leur désir pour la réalité et ceux qui refusent de s’ouvrir à l’espérance et passent peut-être à côté de l’essentiel, la mort seule peut trancher.
En tout cas, si Dieu existe, je ne vois pas pourquoi il nous oublierait lors de nos noces avec sa Majesté la Mort.