Combat spirituel

Je suis impressionné par la manière dont Jésus réagit face à Satan en Matthieu 4, 1-11, lors de ce qu’on appelle ses tentations. Il ne le combat pas, le rapport des forces est trop à son avantage. Il se contente d’opposer son propre projet de vie à celui qui lui est proposé : il n’est pas tenté par le pouvoir politique ou religieux, il n’a rien à faire d’une religion qui joue sur la magie, la possession matérielle n’a pas d’intérêt pour lui. De ce fait il n’a pas besoin de lutter, de s’opposer puisqu’il lui suffit de rappeler ses choix de vie, ses orientations fondamentales tout en rappelant, par quelques paroles de l’écriture, que son attachement fondamental est en Dieu son Père.

Bien qu’incapable d’une telle assurance tranquille, il peut en être de même pour nous. Le diable est néant. Lutter contre lui serait lui faire trop d’honneur. On ne se bat pas contre le vide, on le remplit. Le mal est une sorte de trou noir dans lequel nous sommes toujours près de tomber parce que nous sommes mauvais, mais on ne se bat pas contre un trou, on le comble. On ne combat pas la haine, on la remplace par l’amour. Là où il y a de l’orgueil il s’agit de reconnaître nos faiblesses. Quand nous sommes repliés sur nous-mêmes, il nous faut nous ouvrir aux autres, devant la dureté nous avons à essayer la douceur, etc. Il est toujours possible de poser un acte d’amour, de pardon, de s’oublier quelque peu, ce n’est que par paresse que nous prétendons le contraire. Il en est de même pour la prière : personne ne peut se prétendre occupé au point d’être incapables de se tourner vers Dieu 5 minutes par jour, il ne s’agit que de négligence ou de désintérêt.

Certes il est impossible de devenir parfait et de ne pas retomber dans les erreurs précédentes. Le mal est trop profondément ancré en nous pour que nous puissions nous en débarrasser. Mais ce n’est pas cela qui nous est demandé. La perfection n’est pas de ce monde et Dieu sait bien comment nous sommes. Il n’attend de nous que les gestes du quotidien, dans sa direction et dans celle de nos frères, qui sont la démonstration de notre attachement à sa parole et de notre volonté obstinée d’aimer. Invoquer le fait que nous allons retomber n’est qu’une excuse pour ne rien faire. Dieu est avec nous comme le père de la parabole du fils prodigue : il attend que nous revenions et tout le jour s’il le faut.

On ne lutte pas contre le mal, on fait le bien. Par contre on lutte contre Dieu.

C’est ce qu’évoque l’épisode du combat de Jacob en Genèse 32, 23-32. Il lutte toute la nuit contre celui qui lui barre le passage et ce n’est qu’au matin que Dieu est vainqueur, au prix d’un coup bas qui démonte la hanche de Jacob. Pourtant ce dernier réussit à obtenir de Dieu une bénédiction. Job, lui aussi, lutte contre Dieu, il refuse d’accepter les maux qui l’accablent, ceux dont ses amis disent qu’ils sont la conséquence de ses fautes. Et Dieu lui donne raison. Jésus lui-même au cours de son agonie éprouve de la difficulté à accepter la volonté du Père : « Il tombait à terre et priait pour que, si possible, cette heure passât loin de lui. Il disait : « Abba, Père, à toi tout est possible, écarte de moi cette coupe ! » Marc 14, 35-36.

Il n’est pas scandaleux de lutter contre Dieu, de protester contre lui ou de lui résister. Dieu nous y encouragerait plutôt si l’on en croit le livre de Job. Mieux vaut lui résister que de le mettre en dehors de nos préoccupations. L’essentiel est qu’il gagne à la fin, nous aurions beaucoup à perdre de notre victoire. Il est vrai que nous ne sortons pas indemnes de ces affrontements : Jacob gardera un boitement, Job met sa main devant sa bouche en s’inclinant devant la magnificence de Dieu mais il reste avec ses questions sur le mal, Jésus conclut en disant : « Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » et il lui faut passer par la croix.

On ne sort pas indemne des combats avec Dieu, mais, pour vaincre nos résistances, il faut en passer par là, si du moins, comme Job, nous voulons nous présenter debout devant lui. Et quand il gagne c’est nous qui gagnons parce qu’il est la vie.

 

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