« Demeurez en moi comme moi en vous « (Jean 15, 1-8)

Saint Jean nous transmet une belle invitation de Jésus : qu’on le rejoigne pour qu’il nous rejoigne. Que nous dit cet appel à réciprocité si ce n’est que nous n’existons pas par nous-mêmes ? Nous recevons la vie par l’intermédiaire de nos relations extérieures : c’est à partir de ce qu’elles nous offrent que nous nous construisons une identité tout au long de notre histoire. Si nous nous contentions de notre vie intérieure, nous serions assez rapidement à sec. Nous avons besoin de nous revivifier sans cesse en reprenant contact avec Dieu, avec les autres, avec notre environnement, avec des objets, des pratiques, des croyances et surtout des communautés et des engagements.

Cependant, nous ne sommes pas toujours fidèles à une continuité : nous préférons souvent papillonner, en allant de fleur en fleur, en quête de ce qui peut nous apporter du neuf, nous laissant envahir par l’ennui dès que nous nous enlisons dans les mêmes orientations sur le long terme. Le côté positif est que nous diversifions par là nos acquis et que nous évitons de nous enfermer dans un domaine particulier. Nous ne sommes pas les hommes d’un seul livre, d’une seule passion, d’une croyance définitivement arrêtée… Loin des intégrismes, il est bon, en effet, de diversifier nos points de vue et les matériaux à partir desquels nous forgeons notre identité.

Ne faudrait-il pas cependant, avec Jésus, nous demander si nous demeurons quelque part ? Où avons-nous les pieds ? Est-ce que nous avons des racines ou bien nous laissons nous emporter au gré de tous les vents ?  Jésus nous suggère de nous attacher à lui, de rester greffés sur le cep de vigne qu’il est, source de toute vie.

Sans doute sa suggestion peut-elle, néanmoins,  être élargie à d’autres problématiques : « À quoi sommes-nous vraiment attachés en profondeur et sur la durée ? D’où tenons-nous notre vie, persuadés que cette fidélité est le point central de notre existence, qu’y renoncer serait nous renier nous-mêmes ? » Nous posons-nous ce genre de questions ? Si nous refusons toutes les attaches par peur de nous enfermer, ne risquons-nous pas de nous sentir perdus dans notre monde, comme on flotte dans un vêtement devenu trop grand ?

À quoi sommes-nous connectés au point de penser que s’en défaire serait mettre en danger notre être même ? Un enfant ? Une famille ? Un travail ? Un conjoint ? Un idéal ? Un engagement ? Un groupe ? Une activité ? Qu’est-ce que nous jugeons constitutif de nous-mêmes au point de trouver inimaginable l’idée de nous en séparer ? Où est notre demeure quand elle est bien plus que la maison dans laquelle nous habitons ?

Sans doute pensons-nous que Jésus ne fait pas le poids face à ces attachements primordiaux qui nous définissent en dernier ressort ! Mais n’imaginons pas que Jésus se met en concurrence avec le reste de ce qui nous tient à cœur. S’il nous propose de demeurer en lui, ce n’est pas dans une démarche d’exclusion. Il veut que nous nous branchions sur lui parce que c’est la seule manière de privilégier la vie, de vivre dans l’amour, son amour qui est celui de son Père, qui est l’Esprit qu’il nous promet. Si nous nous plaçons à l’intérieur de ce courant dont il est l’origine, notre vie entière en sera transfigurée.

Demeurer dans l’amour de Jésus et, à partir de là, observer le reste de nos attachements est un renouvellement de perspective qui change tout. Regarder ce qui fait nos existences depuis le regard d’amour que Jésus porte sur elles… c’est se dire que ceux que nous aimons sont aimés par Dieu, tout comme, d’ailleurs, ceux que nous n’aimons pas, ceux dont nous nous séparons parce qu’à un moment ils nous ont trahis… c’est croire qu’il regarde notre monde avec bienveillance alors qu’il nous arrive de douter de ses promesses… c’est considérer que notre avenir est ouvert alors que nous aurions tendance à voir tout en noir… c’est se persuader que Jésus croit en nos capacités plus que nous et que son soutien nous est offert en permanence…

En demeurant en Jésus nous retrouvons, la joie, la confiance, l’audace de dépasser nos petitesses puisqu’il nous fait confiance. Loin de ne nous détourner du monde auquel nous sommes attachés, il nous y replonge avec un dynamisme renouvelé et une efficacité à laquelle nous avions cessé de croire. Allons-nous oser ce changement de perspective ? La promesse c’est qu’alors Jésus fera en nous sa demeure.

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