« Il y a le nom et la chose ; le nom c’est une voix qui remerque et signifie la chose ; le nom ce n’est pas une partie de la chose ny de la substance, c’est une pièce étrangère joincte à la chose et hors d’elle.
Dieu, qui est en soy toute plénitude et le comble de toute perfection, il ne peut s’augmenter et accroistre dedans ; mais son nom se peut augmenter et accroistre par la bénédiction et louange que nous donnons à ses ouvrages extérieurs. Laquelle louange, puisque nous ne la pouvons incorporer en luy, d’autant qu’il n’y peut avoir accession de bien, nous l’attribuons à son nom, qui est la pièce hors de luy la plus voisine. Voilà comment c’est à Dieu seul à qui gloire et honneur appartient ; et il n’est rien si éloigné de raison que de nous en mettre en queste pour nous : car estans indigens et necessiteux au dedans, nostre essence étant imparfaicte et ayant continuellement besoing d’amélioration, c’est là à quoi nous devons travailler. Nous sommes tous creux et vuides ; ce n’est pas de vent et de voix que nous avons à nous remplir ; il nous faut de la substance plus solide à nous reparer. Un homme affamé seroit bien simple de chercher à se pourvoir plutôt d’un beau vestement que d’un bon repas : il faut courir au plus pressé. Comme disent nos ordinaires prières : « Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus.. » Nous sommes en disette de beauté, santé, sagesse, vertu, et telles parties essentielles ; les ornements externes se chercheront après que nous aurons proveu aux choses nécessaires ? La Théologie traicte amplement et plus pertinemment ce subject, mais je n’y suis guiere versé. » Les Essais Livre II chapitre XVI.
Selon son habitude, Montaigne ne parle pas de Dieu, seul l’homme l’intéresse, lui en particulier et il se situe à ce niveau d’humanité. Le sujet de ce chapitre est la vanité de la recherche de la gloire et des honneurs pour l’homme qui a bien d’autres besoins avant d’en arriver là.
Il fait allusion à Dieu comme contre-exemple. Sa distinction entre le mot et la chose qui nous emmène loin de tout nominalisme est bien venue pour ce qui est de Dieu et rappelle notre prière du Notre Père : « que ton nom soit sanctifié ». Puisqu’on ne peut rien ajouter à Dieu, ce n’est qu’au niveau de son nom et de ce que nous voyons de ses œuvres qu’un plus peut être apporté. À nous de ne pas confondre ce que nous percevons de Dieu, ce qui en est dit et ce qu’il est en lui-même. Si nous ne pouvons rien dire qui lui corresponde vraiment, nous pouvons, après Jésus, partager sur les chemins qui mènent vers lui.
La gloire est pour Dieu seul et il vaudrait mieux ne pas la chercher pour nous. Nous sommes, quant à nous, renvoyés à notre responsabilité qui est d’amener la paix sur la terre : Gloria in excelcis Deo, et in terra pax hominibus. La dernière incise était importante pour Montaigne qui vivait dans une période particulièrement troublée, comme la nôtre, bien que notre rôle aille encore au-delà.
