- 1. Les besoins de l’homme
En dehors de toute approche religieuse et même philosophique, certains se sont risqués à définir les besoins de l’homme selon une perspective essentiellement utilitaire.
Virginia Henderson
Son approche, bien qu’ancienne, fixe ce que peuvent être les besoins fondamentaux de l’être humain. Ils sont définis en fonction des soignants et sont sensés être systématiquement pris en compte lors des soins apportés à une personne malade. Ils sont pourtant valables pour les personnes en bonne santé. D’après Virginia Henderson, un besoin ne peut être satisfait que si les besoins précédents le sont déjà.
Cette vision très simple et schématique du fonctionnement humain ne doit pas être prise au pied de la lettre et reste au mieux un vague guide pour le soignant.
1. Respirer.
2. Boire et manger.
3. éliminer (urines et selles).
4. Se mouvoir, conserver une bonne posture et maintenir une circulation sanguine adéquate.
5. Dormir, se reposer.
6. Se vêtir et se dévêtir.
7. Maintenir la température du corps dans les limites normales.
8. Être propre, soigné et protéger ses téguments.
9. éviter les dangers (maintenir son intégrité physique et mentale).
10. Communiquer avec ses semblables.
11. Agir selon ses croyances et ses valeurs.
12. S’occuper en vue de se réaliser (et conserver l’estime de soi).
13. Se récréer (se divertir)
14. Apprendre.
On peut noter que le besoin d’apprendre est mis en dernière position. Les points 10, 11, 12 et 13 sont les plus proches de notre sujet et définissent grosso modo la dimension spirituelle de l’homme. Selon l’ordre défini, ils passent avant l’apprentissage au sens strict.
Abraham Maslow
Il a donné une version simplifiée de l’approche précédente, nommée « pyramide des besoins » avec le même présupposé que ces besoins doivent être satisfaits dans l’ordre, les besoins physiologiques et la sécurité étant, selon lui, la base de tout accomplissement personnel. Cette priorité absolue donnée à la santé peut être remise en cause dans la mesure où elle exclut a priori la différence, mais elle correspond bien à la pensée dominante d’aujourd’hui. Elle rappelle aussi les philosophies politiques de Hobbes et de Rousseau pour lesquelles la priorité de l’état est d’instaurer la sécurité.
La pyramide a pour base les besoins physiologiques sur lesquels reposent les besoins de sécurité, d’amour et d’appartenance, de l’estime des autres, de l’estime de soi et enfin d’un accomplissement personnel.
L’aspect pratico pratique de ces classification est là pour nous éviter d’oublier que l’éducation suppose des bases bien concrètes, que la cantine, les toilettes et la sécurité à l’école ne sont pas des domaines secondaires, mais qu’elles conditionnent le reste. Il est important aussi de remarquer que, même dans ce type d’approche, la dimension spirituelle n’est pas absente.
- 2. Dimension spirituelle, dimension morale
Outre le rôle de l’agent de santé, du politique et de l’enseignant stricto sensu, et pour préciser un peu notre approche, il est utile de distinguer ce qui relève de la morale et ce qui concerne la vie spirituelle à proprement parler.
Vie morale
Il faut éviter avant tout de confondre morale et vie spirituelle même si l’une et l’autre se vivent en continuité. La vie morale permet de se situer dans un ensemble social, dans une communauté et d’y trouver sa place. Elle donne des bases pour la sécurité, pour vivre des appartenances ou l’amour, pour obtenir l’estime des autres et parvenir à l’estime de soi, même si ce n’est pas automatique. La morale permet une régulation de la vie en société. Un rapport à la loi ou au règlement assure l’équilibre dans les relations et une harmonie indispensable avant de penser entrer dans des échanges plus approfondis. La morale sert de fondement.
Elle s’enseigne, ses principes peuvent être développés, sa transmission prend souvent des allures de dressage dans ses débuts quand la conscience n’est pas encore développée. Par la suite, les personnes évoluent jusqu’à se constituer une personnalité particulière La morale, imposée d’abord de l’extérieur, tend à s’intérioriser. Elle devient le « sur-moi » dont parlent les psychanalystes et, mieux encore, elle se change en éthique au terme de son assimilation. Il ne s’agit plus alors de règles subies, mais de directions assumées et choisies qui ouvrent à la vie spirituelle.
Vie spirituelle
La vie spirituelle vient donc en plus de la morale, elle est une étape supplémentaire, centrée sur l’éthique, qui suppose en théorie la précédente, qu’elle assume et dépasse. Elle comporte le besoin d’amour, d’estime de soi et d’estime des autres, l’envie de faire des projets autour desquels la vie s’organisera, la volonté d’avancer vers une autonomie réelle, de se construire une personnalité unique ; le besoin d’être reconnu et de trouver sa place, de s’appuyer sur des valeurs et des croyances afin de s’accomplir personnellement. La morale ne suffit pas pour y parvenir. Il est tout à fait possible d’avoir une vie impeccable sur le plan moral sans pour autant obtenir l’estime des autres, encore moins leur amour, ni même d’être reconnu par eux. Faire des projets, organiser sa vie, choisir des valeurs suppose un engagement personnel qui ne se décrète pas de l’extérieur et qui ne saurait être contraint.
Transmission de la vie spirituelle
On ne peut donc pas transmettre la vie spirituelle. Chacun doit en faire l’expérience personnelle et s’y engager. Par contre il est possible de transmettre une culture qui servira de base à la construction de la vie spirituelle. Cela est même indispensable : il n’existe pas de vie spirituelle personnelle qui ne passe pas par des formes véhiculées par la société, la philosophie ou une église. Par contre cela ne suffira pas encore, devra s’y ajouter le témoignage de personnes reconnues qui, par leur existence, seront la preuve qu’une vie spirituelle est possible et profitable. Tout ceci est particulièrement vrai pour ce qui concerne la foi. Si une catéchèse préalable est incontournable, comme une participation aux rites relativement contrainte, elle ne s’épanouit que par l’entrée volontaire de l’individu dans une pratique personnalisée. Enfin la rencontre d’autres croyants reconnus s’impose. Elle seule fait d’une voie parmi d’autres le chemin privilégié sur lequel on accepte de s’engager.
Il semble donc que l’école peut prendre sa place dans la transmission de chemins de vie, religieux ou non, dans l’invitation à les emprunter en soulignant comment ils conduisent au bonheur, dans le témoignage de vies animées par la dimension spirituelle. Ne transmettre que des savoirs risque d’enfermer dans des comportements utilitaristes mettant en avant la seule efficacité et le succès au détriment de l’engagement appuyé sur des choix spirituels.
Vie spirituelle religieuse ou non
La vie spirituelle, quant à elle, est tournée vers la recherche d’une qualité de la vie, d’une « vie bonne », elle se pose les questions du sens, de la prise en compte ou non du présent, du passé et de l’avenir, elle s’interroge sur la mort et sur l’éventualité d’une vie après elle, sur l’amour comme nous l’avons dit… C’est autour d’elle que se construit la vie de chacun dans sa dimension personnelle.
Avec ou sans Dieu
Pour répondre à ces interrogations les philosophies et les religions se retrouvent souvent en concurrence quand elles se refusent à la complémentarité. Ces deux approches de la vie invitent à des sagesses diverses qui incitent à des modes de vie différents : engagement dans le monde ou retrait, recherche du plaisir ou ascétisme, individualisme ou recherche de communion, attente d’un au-delà ou apprivoisement de l’idée de la mort, recherche de l’amour ou évitement de la souffrance… Les attitudes divergent mais tentent chacune à leur manière de répondre aux questions de l’existence pour une vie heureuse.
Il est important que chaque homme laisse ces interrogations retentir en lui pour qu’il aille jusqu’à faire des choix. Certains pourtant font ce qu’ils peuvent pour les écarter et préfèrent l’aveuglement de la fuite à l’angoisse que suscitent les questions. Il n’est pas toujours facile de surmonter la peur du vide quand montent les « pourquoi ? » Les jeux vidéos sont sans doute une des fuites privilégiée par les adolescents, elle n’est pas la seule.
Dans le meilleur des cas, la vie spirituelle se construit progressivement par le choix d’orientations fondamentales, appuyées sur la morale mais surtout sous-tendues par des espérances et des valeurs, guidées par des utopies de telle sorte que l’existence prend une épaisseur éthique qui lui donne sens. Savoir qui on est et vers quoi on souhaite aller permet de prendre sa vie en main sans angoisse excessive. Les relations que l’on entretient avec son entourage, les choix que l’on fait sont eux aussi déterminés par la qualité de vie spirituelle que l’on cherche à atteindre, comme les investissements au quotidien.
Certains bâtissent cette vie spirituelle en opposition avec une foi parce qu’ils pensent que cette dernière leur impose des limites qu’ils ne supportent pas et qu’elle est fondée sur des illusions. Pourtant les orientations prises par les uns et les autres sont souvent relativement semblables dans les faits : attention aux autres, sortie de soi, engagement dans la société, ouverture à l’universel, recherche d’un approfondissement personnel, réflexion sur ce qui est vécu, attention aux plus pauvres… L’opposition se fait plus manifestement entre d’un côté ceux qui, croyants ou non, refusent de se poser des questions sur ce qu’ils vivent et qui se referment sur une vie étriquée ou centrée sur des besoins terre-à-terre et de l’autre ceux pour qui la dimension humaine et humaniste a beaucoup de sens. D’où l’importance de proposer l’expérience de la plus grande qualité de vie que provoque le choix de certaines valeurs. L’enfermement dans des comportements autistiques ou simplement égocentriques et le choix du divertissement en continu au sens pascalien sont des impasses dont il est utile de montrer les limites pour la recherche d’une vie bonne.
Les croyants
Un croyant ajoute à cette approche humaine une dimension religieuse. Elle consiste avant tout à se penser dans un monde habité par Dieu ou constitué par une nature vivante, puisque nous sommes à l’époque d’ « Avatar », l’un et l’autre étant considérés comme donnant la vie. En ces temps où l’idéologie écologique se répand, il faudrait vérifier jusqu’à quel point elle imprègne les jeunes générations et si nous assistons effectivement à un retour des religions traditionnelles et de leurs phantasmes comme le craint le Vatican.
L’autre conséquence de la foi en un monde habité est le culte que l’on se doit de célébrer pour entretenir un rapport avec ce qui nous dépasse. Ainsi le croyant ne s’imagine plus isolé dans le monde, mais en lien avec plus grand que lui, non plus autosuffisant, mais dépendant d’une force supérieure. Dans les religions traditionnelles, les ancêtres servent souvent de médiateurs, idée que l’on retrouve parfois chez les jeunes qui ont perdu un proche et qui se sentent encore en lien avec lui, protégés.
La spiritualité du croyant diffère donc fortement de celle du non croyant au sens où ce dernier se sent davantage autonome, maître de son destin, en lien seulement avec les autres hommes, parfois avec la nature mais sans dimension religieuse. Le croyant, tout en conduisant sa vie librement, assume sa dépendance avec Dieu, reconnaît qu’il est la source de ce qu’il est, calque ses choix sur ce qu’il sait de sa parole. C’est pour cette raison que beaucoup d’athées considèrent les croyants comme des enfants attardés, des gens incapables de vivre par eux-mêmes et qui se réfugient dans un imaginaire simplet afin de se rassurer. Ils auraient besoin de béquilles parce qu’ils ne savent pas vivre seuls, ils sont faibles alors ils éprouvent le besoin de se construire un Tout-Puissant à qui demander du secours dans la tourmente, un Dieu à l’image de leurs rêves.
C’est le reproche en particulier que nous font des philosophes comme Luc Ferry ou André Comte Sponville. La peur de la mort leur semble être la principale origine de notre besoin de transcendance, ce qui est historiquement contestable. Il est possible par contre que des jeunes, en sortant de l’enfance, soient effectivement heureux de se libérer en même temps du fardeau de la religion, pensant que c’est la preuve qu’ils grandissent et passent à une nouvelle étape. Les philosophes dont il est question se prennent volontiers pour des esprits supérieurs et manient facilement l’ironie envers les croyants ce qui impressionnera facilement des esprits en construction.
Comme pour leur donner raison, des chrétiens se réfugient dans le fidéisme et prétendent volontiers que la religion est au-dessus de toute rationalité. Ils préfèrent ignorer les questions des philosophes qui pourtant mettent le doigt sur les doutes de tout un chacun. S’ils ont le rôle d’éducateur, ils risquent de détourner de la foi des jeunes qui cherchent à comprendre et qui préfèreront faire un trait sur la religion plutôt que de se soumettre à des injonctions non fondées.
- 3. Aux origines de la dimension spirituelle
Pour un athée ou un agnostique la dimension spirituelle vient de notre faculté d’accéder à la conscience grâce à notre cerveau. Nous sommes ainsi capable d’abstraction ce qui nous permet de prendre de la distance par rapport à l’immédiateté par la mémoire et par notre capacité à nous projeter dans le futur par le biais de projets. La dimension spirituelle oscille alors entre la sagesse stoïcienne qui fait prendre à ses adeptes de la distance par rapport aux désirs désordonnés de ce monde, le bouddhisme qui s’efforce de sortir lui aussi du désir pour éviter la douleur et l’humanisme qui n’imagine pas se débarrasser seul des maux qui frappent tous les hommes.
Pour les religions naturelles, elle est la marque de notre rapport intime avec la nature et du lien qui n’est pas totalement rompu avec les ancêtres qui continuent sous une certaine forme à exister.
Créés à l’image de Dieu
La vision des croyants de la Bible est différente.
Les deux récits de la création, dans la Genèse, nous montrent un homme dont la supériorité par rapport aux animaux est affirmée. Dans le premier récit il est créé à l’image de Dieu, homme et femme, directement par la parole divine. Dans le deuxième récit sa base est moins noble puisqu’elle est de terre, mais il est empli par le souffle de Dieu ce qui lui donne sa dignité. Cette ressemblance avec Dieu ou le souffle divin qui est en l’homme sont l’origine de sa dimension spirituelle d’un point de vue religieux.
Le souci de la plupart des livres de la Bible à l’égard des croyants est de leur permettre de prendre des distances vis-à-vis des religions naturelles, très marquées par le rapport avec la nature et dont les dieux protègent et soutiennent, mais surtout sont des dieux de la fécondité. Le Dieu de la Bible est essentiellement un Dieu de l’alliance, en rapport constant avec son peuple qu’il défend ou corrige, qu’il libère de l’oppression et du péché. La nature est réduite la plupart du temps à un théâtre dans lequel se jouent les relations entre Dieu et son peuple. La spiritualité qui en découle est donc de relations ce qui constitue une limite quand les rapports avec la nature et le monde animal reviennent à la mode.
La spécificité de notre dimension spirituelle est qu’elle est de l’ordre de la création. Elle est donc le propre de tous les hommes et ne dépend pas de la relation explicite à Dieu. Les hommes sont sauvés par leurs actes dans la mesure où ils sont en conformité avec le dessein de Dieu et non par l’appartenance à un peuple particulier ou à une religion. C’est la conviction des prophètes de la Bible : elle ouvre à l’universalité le peuple choisi qui a tendance à croire à sa différence radicale. Jésus poursuivra fortement dans ce sens.
Parler à quelqu’un de sa spiritualité repose donc, pour nous chrétiens, sur la conviction qu’il est habité par Dieu et que l’on peut retrouver en lui la marque qui lui vient de son origine divine. Elle n’est pas réservée à ceux qui en sont dignes, elle est en tous, même chez ceux qui sont le plus abîmés par la vie. Notre foi en l’homme est indéracinable parce qu’elle est ancrée sur notre foi en Dieu.
L’annonce explicite de Dieu n’est pas une violation de la liberté de l’autre dans la mesure où elle s’appuie sur une terre prête à recevoir ce message qui est conforme à sa nature, ce qui n’empêche pas de prendre des précautions !
Créés à l’image du Christ
Ce qui précède risque de se résumer à un théocentrisme vague. Il suffirait ainsi de parler de Dieu, d’ouvrir les autres à un au-delà sans contours, de les inviter à croire qu’il y a « quelque chose » qui existe en-dehors de ce que nous pouvons voir. Dans ce cas, toutes les religions se valent et il n’y a pas de raison de privilégier la nôtre.
En tant que chrétiens, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une telle spiritualité.
La foi chrétienne soutient que le Christ est le sauveur de toute l’humanité et qu’en ce sens tous les hommes sont appelés par lui. D’un autre côté, nous sommes créés non seulement à l’image de Dieu, mais aussi tout particulièrement à celle du Christ : cf. le prologue de l’évangile de Jean (1,1-5) « Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut. Ce qui fut en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie ».
Saint Paul aussi « nous sommes le corps du Christ » Ephésiens 5,30 ; Ephésiens 2:10 « Nous sommes en effet son ouvrage, créés dans le Christ Jésus en vue des bonnes œuvres que Dieu a préparées d’avance pour que nous les pratiquions ».
Colossiens : 1,15-20 « Il est l’image du Dieu invisible, Premier-Né de toute créature, car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances; tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose et tout subsiste en lui. Et il est aussi la tête du Corps, c’est-à-dire l’Eglise: Il est le Principe, Premier-né d’entre les morts (il fallait qu’il obtînt en tout la primauté), car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix ».
C’est sur cette foi que l’église s’appuie pour affirmer que Jésus concerne tous les hommes, non les seuls chrétiens. C’est sur cette conviction que repose notre souci de l’annonce dans le dialogue, pleins de conviction mais non sans humilité.
Si le Christ est vraiment le principe et le modèle de l’humanité rénovée, il n’est pas réservé aux chrétiens. La révélation qui en est faite dans les écritures, relayées par l’église, s’adresse et concerne le genre humain tout entier. La place de l’église dans le monde est donc tout à fait particulière et unique. On ne peut pas la placer sur le même plan que d’autres religions, même si l’on pense que ces dernières comportent des approches innovantes de Dieu. Elle est essentiellement universelle parce qu’elle n’a pas non plus de forme totalement définie. Il n’est pas obligatoire d’entrer dans un moule particulier pour y accéder, elle transcende tout particularisme de race ou de nation, ce n’est pas la religion d’un peuple particulier.
L’annonce explicite
La mission pour l’église est donc une tâche indispensable qui la dépasse. Contrairement aux l’églises qui sont particulières, la Bonne Nouvelle n’est pas une religion parmi d’autres puisque la personne du Christ concerne tous les peuples et chaque homme en particulier. Pour un chrétien, le christianisme qui est né du témoignage sur la vie de Jésus et sur sa parole tient une place irremplaçable dans l’histoire du salut de l’humanité puisqu’il a pour mission de révéler à tous qui est son fondateur. Il évitera pourtant de confondre l’église dont il est le disciple et la Bonne Nouvelle qu’elle porte.
La question se pose en particulier, quand on pense à l’annonce explicite, de choisir entre un théocentrisme qui met toutes les religions à égalité pourvu qu’elles tournent autour de Dieu qui, par définition, est unique et un christocentrisme qui pense que le Christ concerne tous les peuples. Contrairement aux autres religions qui invitent les hommes à entrer dans leur structure prédéfinie, le christianisme va vers les autres pour leur proposer la personne du Christ. Il ne s’est pas identifié à une culture particulière, au moins dans les meilleurs moments de son histoire, il est allé au devant des cultures dans leur diversité pour les christianiser. Chacun ensuite est appelé à se mettre à la suite de Jésus, sans pour autant renier ce qu’il est, en faisant en sorte que cette rencontre transforme son existence sans que personne ne sache par avance dans quelle direction cela se fera. C’est encore aujourd’hui ce que nous avons à faire, vis-à-vis des peuples lointains comme des personnes qui nous sont proches géographiquement mais dont les comportements nous surprennent et nous choquent.
Cette conviction ne dispense pas l’église d’une extrême humilité : la richesse de sa tradition la dépasse complètement. De toute façon ce n’est pas l’église que nous avons à présenter en priorité mais le Christ. La personne du Christ n’est pas la propriété des chrétiens ; les sacrements, les trésors de l’écriture, l’action de l’Esprit ne sont pas enfermés dans les limites de l’institution. Des non chrétiens, en particulier des croyants d’autres religions, peuvent nous faire comprendre la profondeur du sacrement de la réconciliation que nous prétendons vivre, ils peuvent nous amener à lire les évangiles avec un regard neuf. Nous avons des progrès à faire pour nous approprier notre Tradition. Quand on pense qu’il a fallu Vatican II pour que l’église se réapproprie la Bible et se mette à la lire assidûment, nous ne pouvons pas prétendre sérieusement posséder en plénitude la vérité dont le baptême nous a rendu dépositaire.
Il y a des « germes d’évangile », selon l’expression du concile Vatican II, en dehors de la communauté de l’église rassemblée. La difficulté est de les reconnaître. Qu’elles sont les « figures du Christ » présentes en dehors de notre tradition ? Comment le Christ se révèle en dehors de l’église puisqu’elles peuvent prendre des formes qui nous sont inconnues ? Comment décrypter ce qu’il cherche à nous dire ? L’évangile est le meilleur des moyens que nous ayons à notre disposition, mais lui aussi est historique. Il nous permet d’aiguiser notre regard pour nous rendre attentif à ce qui ne vient pas de nous, et ce qui vient des autres traditions est capable de nous surprendre.
- 4. Le dialogue
Il ressort de ce qui précède que la proposition de la foi ne peut se faire que dans le dialogue, que l’on s’adresse à des novices dans la foi ou à d’autres qui ont été catéchisés. Il s’agit toujours d’un échange, comme dans l’épisode de la rencontre de Pierre et de Corneille dans les Actes des Apôtres : Pierre fait son discours, mais ce qui se passe ensuite le déstabilise et l’amène plus loin qu’il ne l’avait prévu. L’enseignement n’est qu’un préalable. Il s’agira d’une présentation du christianisme ou d’autres religions, des spiritualités chrétiennes, d’autres spiritualités, religieuses ou non, la question qui se pose est celle de l’après. Je ne sais pas comment un établissement d’enseignement peut répondre et quel genre de dialogue il est possible d’instaurer. Faut-il se contenter de donner les bases, de semer en espérant récolter quelques fulgurances passagères ?
Il me semble que, pour aborder la spiritualité, il faut quitter le rôle de l‘enseignant. Quand est-ce que vous sortez de cette attitude ? À quelles occasions ? Est-ce pour vous le moment où vous pouvez témoigner, écouter davantage ? Un proverbe africain dit : « on ne va pas à la source avec une cruche pleine ». Cela peut se comprendre en deux sens.
• Ce peut-être une sorte de tactique consistant à faire le vide en soi, à ne pas commencer par imposer notre foi, à attendre que l’autre prenne la parole afin de trouver les mots justes qui ont des chances de le toucher. Nous faisons alors preuve de stratégie et ce n’est pas pleinement satisfaisant.
• Ce peut-être aussi ne pas avoir peur de descendre jusqu’à nos propres interrogations, faire l’expérience de nos faiblesses pour communier aux interrogations de celui que nous avons en vis-à-vis. À l’image de Jésus qui est descendu aux enfers, nous pouvons ainsi quitter notre position dominante pour, sans calcul, simplement parce que nous sommes nous aussi en recherche, rejoindre l’autre pour, ensemble, faire quelques pas en direction de Jésus et approfondir notre vie spirituelle. L’image d’un Jésus assoiffé au bord du puits qui demande de l’eau à la Samaritaine est parlante pour quelqu’un qui, quand il entre en dialogue, est aussi en attente.
Les jeunes dont vous avez la responsabilité sont profondément marqués par leur culture, au niveau de la morale, de l’imaginaire, de leur vision de la religion et des religions, de leurs loisirs… Il ne s’agit pas de les faire revenir en arrière de leur faire adopter nos modes de vie, mais de les inviter à christianiser leurs comportements, leurs choix, leur vie spirituelle. Ce n’est pas simple dans la mesure où nous sommes en général plutôt dépassés et que nous commençons souvent par une réaction de recul face à ce qui nous est étranger. Nous sommes dans une situation semblable à celle des premiers missionnaires arrivant en Afrique. Comment jeter un regard positif sur ce qui nous surprend ?
L’écologie les marque, je ne sais pas jusqu’où. Un des défis de l’église du XXIème siècle est de trouver le moyen de christianiser cette idéologie, sympathique sous certains aspects, mais inquiétante quand la place de l’homme est mise en question et quand le retour aux religions naturelles est proposé. Un des chantiers du diocèse pour l’an prochain va dans ce sens.
On constate chez eux ce que nous pensons être une fuite dans le virtuel. Ce dernier est marqué par la magie, le dépassement des limites humaines et la violence. Les données de la foi sont parfois assimilées à ce virtuel auquel on se laisse prendre mais qui reste une illusion. Comment les aider à faire la différence entre le virtuel et le transcendant ? Comment la pratique de la foi peut-elle être autre chose qu’un moyen supplémentaire de s’évader, comment ce peut-être au contraire un moyen de s’enraciner dans le réel ?
Ils ont des pratiques solidaires, des notions de respect qui ne sont pas sans évoquer les vertus évangéliques ; des formes de prière, des croyances en l’au-delà… Peut-être faut-il chercher dans ces directions les « germes d’évangile » que nous évoquions précédemment.
Bref il s’agit d’être inventif, le but n’étant pas des les amener absolument à partager dans le détail nos convictions voire de les faire entrer dans l’église, mais de leur permettre de découvrir ce qu’est un vie spirituelle, de préférence animée par Jésus-Christ toutes les fois où c’est possible.