(Luc 24, 35-48)
Pourquoi Jésus prend-il autant de peine pour montrer qu’il n’est pas un esprit ? Alors que beaucoup croient aux fantômes, Jésus tient à montrer qu’il n’en est pas un et que, ressuscité, il est toujours un être de chair. De notre côté, à la fin du » Je crois en Dieu », nous disons, comme en écho : « Je crois en la résurrection de la chair ». Y croyons-nous vraiment ou pensons-nous, comme la plupart des gens, que ce n’est pas possible ? Beaucoup de croyants se contenteraient facilement d’une âme immortelle…
Jésus, au contraire, tient à nous dire : « je suis ressuscité avec ma chair Je ne suis pas un simple esprit immortel »… Encore faut-il s’entendre sur ce qu’on entend par chair, que ce soit celle du Christ ou la nôtre. Il ne s’agit pas d’un assemblage de petites cellules. Le Christ veut montrer qu’il est présent tout entier, au milieu de ses disciples, d’une façon concrète : « C’est moi, celui que vous avez connu, qui suis là ». Le Ressuscité est porteur de son histoire. Il garde les traces de ce qui a marqué sa vie antérieure. Il montre ses mains, ses pieds et son côté. Il est Jésus, celui qui est mort pour nous, le crucifié. Seuls ses amis le reconnaissent parce qu’ils sont capables d’établir le lien avec le passé. Ils ont néanmoins besoin de signes parce que Jésus est à la fois le même et différent. Pour les disciples d’Emmaüs et lors d’autres rencontres, il rompt le pain, il partage des poissons et un déclic surgit, qui permet à ses amis de faire le lien entre celui qui est là avec eux et celui qu’ils ont rencontré avant sa mort. C’est par exemple une interpellation pleine d’affection, « Marie », qui permet à Marie Madeleine, de faire le lien avec celui qu’elle a aimé.
Jésus ressuscité n’a pas les petites cellules d’autrefois mais il a gardé sa faculté de communiquer avec les gens, ce qui est le rôle du corps. La chair de Jésus, c’est ce qui lui permet de continuer à entrer en relation avec les gens, d’échanger avec eux : il parle, se fait toucher, mange et boit, fait un bout de route avec certains… C’est par sa chair qu’il est capable de se faire reconnaître. En affirmant « Je crois à la résurrection de la chair », c’est bien tout cela que nous disons. Nous allons perdre nos petites cellules mais nous garderons notre faculté de communiquer, d’aimer, de nous reconnaître, nous ne perdrons pas ce que nous avons acquis au cours de notre existence, nous serons les mêmes, quoique transfigurés. Telle est la promesse qui nous est faite.
Est-ce que nous y croyons ? C’est bien la question qui nous est posée aujourd’hui. « C’est inimaginable ! » Cette réaction est tout à fait légitime : alors évitons de faire fonctionner notre imagination… Croyons simplement mais croyons avec toute notre intelligence, tout notre cœur. En effet, quand nous parlons de notre cœur, nous ne pensons pas à ce muscle qui est dans notre poitrine et qui est voué à disparaître. Par « cœur », nous désignons notre faculté à aimer, à communier les uns avec les autres, à partager leurs joies et à être ému par leur détresse … C’est toute une partie de nous-mêmes qui entre en contact affectif avec les autres, qui nous amène à nous dépasser, à nous enrichir au moyen de rapports toujours renouvelés. Croire en la résurrection de la chair, c’est être convaincu que, malgré la disparition du muscle que nous appelons « cœur », cette faculté survivra et c’est bien là l’essentiel !
Notre cerveau va mourir lui aussi mais pas cette capacité que nous avons, grâce à lui pour l’instant, de comprendre, de connaître, de nous comporter de manière raisonnable, d’inventer, de sans cesse nous ouvrir à la nouveauté. La question qui nous est posée aujourd’hui est la suivante : « Est-ce que nous croyons que nous allons véritablement continuer à vivre, à aimer à partager, à nous rencontrer les uns les autres y compris après notre mort ? Est-ce que nous croyons que notre chair ce n’est pas des cellules qui vont disparaître, mais l’essentiel de nous-même : notre intelligence, notre cœur, notre volonté, ce dont nous avons hérité grâce à notre histoire… ? Telle est la promesse qui nous est faite : si nous ressuscitons avec le Christ, nous garderons cette incarnation qui fait de nous des hommes formés dans une histoire et non des esprits désincarnés.
Nous en faisons une expérience particulière avec les paroles de Jésus : « Prenez et mangez ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Par la communion nous ne recevons pas quelques cellules du corps du Christ. C’est le Ressuscité qui vient en nous, le Crucifié qui prend corps en nous. Comme la nourriture nous revivifie, la vie divine nous transforme dans la communion. Par le Christ, nous sommes en relation avec le Père dans l’Esprit. En donnant son corps et son sang Jésus ressuscité entre en relation intime avec nous et nous invite à communier les uns avec les autres. Nous prenons chair en communiant à sa chair de ressuscité.
Sommes-nous nostalgiques de notre existence terrestre, obsédés par le désir de la poursuivre quoi qu’il en coûte sans chercher ailleurs ou bien avides de communier à la chair du Ressuscité pour ressusciter avec lui ?