Nous sommes invités par notre évêque à écrire une page des Actes des Apôtres pour aujourd’hui. Mais ce livre n’est pas le simple récit de l’histoire des premiers chrétiens, on y retrouve une théologie, un projet, les épisodes s’enchaînent dans un ordre qui ne doit rien au hasard ni à la seule suite historique des faits. Nous devons faire de même et ne pas nous contenter de raconter de petites histoires pour édifier la compagnie. Ces quelques lignes voudraient y aider.
Avec la fin des évangiles il semble que tout soit achevé. Nous sommes sauvés par la mort et la résurrection de Jésus, tout est accompli, il va revenir et il ne nous reste plus qu’à attendre ce retour dans la prière. Le Royaume est à nos portes et la Bonne Nouvelle va s’étendre progressivement au monde entier par la seule puissance de la Parole proclamée par les Apôtres. Le succès serait garanti puisque l’Esprit est avec nous !
Est-ce maintenant ?
C’est bien dans cet état d’esprit que se trouvent encore les Apôtres au début du livre des Actes des Apôtres. Au moment où Jésus va les quitter pour le ciel ils demandent encore : « Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? » 1,7. On peut le dire : « ils n’ont encore rien compris ! Ils croient encore que la Bonne Nouvelle va transformer le monde immédiatement, ils croient que tout est achevé ». Les Actes des Apôtres cherchent à nous faire percevoir le contraire : nous faire comprendre que tout commence. Ils nous montrent la lente naissance de l’église au premier siècle. Le livre est un avertissement Il nous dit que ça va être long et que nous allons passer par des temps difficiles. Il y a même un vrai risque d’échec de la mission puisque Jésus lui aussi se posait la question : « Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Luc 18,8. La mission n’est pas une simple formalité, une matière à option.
Nous en sommes toujours au début, étonnés que l’église et le message qu’elle porte ne s’imposent pas avec davantage de facilité. Nous sommes tellement bouleversés par les paroles du Christ, que nous avons du mal à accepter les résistances de ceux qui ne croient pas à ce qui est pour nous proche de l’évidence : les évangiles bousculent la vie et nous invitent au bonheur. Nous sommes comme les premiers Apôtres sauf que, pour ce qui nous concerne, voilà plus de deux mille ans que nous sommes en attente des prémices du Royaume et que nous ne voyons pas grand chose venir. Qu’est-ce qui a changé depuis la résurrection de Jésus ? L’église qui devait s’étendre comme une trainée de poudre continue à grandir certes mais avec lenteur et le message de Jésus peine toujours à s’imposer dans notre monde. Il nous arrive parfois de penser que nous sommes dans une période de recul. Certains regrettent la chrétienté, cette période où il semblait que la parole de l’église était prédominante, où son autorité était prise en compte. Illusion certes, comparable à celle des premiers Apôtres qui attendaient que Jésus mette en place son Royaume une fois que la victoire sur le mal était acquise.
Comme les Galiléens, nous avons du mal à détacher nos yeux de ce ciel où Jésus est parti. 1,11. Pourtant il ne nous a pas demandé de l’attendre mais d’être ses témoins, d’aller enseigner jusqu’aux extrémités de la terre. Il a refusé de répondre à la question de la date à laquelle le Royaume allait s’imposer et pourtant nous avons encore du mal à accepter que l’église puisse être mise en danger. Nous voudrions nous contenter d’attendre en chantant les merveilles de Dieu, de le remercier pour ce qu’il fait dans notre monde en évitant de nous impliquer pour que son Règne vienne.
Première conversion de Pierre 1,12-26
Les Actes évoquent le premier retournement de Pierre en direction de la mission, le moment où, ayant compris que tout n’allait pas se passer comme il l’avait imaginé, il prend la décision d’entreprendre l’organisation de la première communauté pour préparer la suite. Dans son premier discours il affirme qu’il faut prendre en compte le vide laissé par la trahison de Judas. La blessure est profonde et inguérissable, impossible d’effacer la mémoire de ce premier échec. Comment imaginer qu’un des apôtres, touché comme les autres par la Parole, ait pu, à ce point, faire preuve d’infidélité ? La menace continue à planer sur le petit groupe des premiers disciples comme une éventualité qui pèse encore sur eux. Impossible de combler ce manque, comme si plus personne, après Judas, ne risquait de prendre à son compte l’œuvre de Jésus au lieu de lui être fidèle.
Il faut poursuivre et de Matthias, curieusement, il est dit qu’il fut compté parmi les Onze, 1,26, non pas pour faire comme si rien ne s’était passé, mais pour que l’équipe des témoins de la résurrection soit reconstituée. Pierre invite l’église naissante à sortir de son attentisme afin de devenir missionnaire.
Le changement est important. Il présuppose le deuil de la réussite automatique, celle qui ne demanderait aucun effort de notre part parce qu’elle viendrait d’en haut. Déjà l’attitude de Jésus pendant sa vie avait été remarquable par son refus de chercher à réussir par tous les moyens. Par ses paroles et ses attitudes il avait toujours refusé aussi bien les compromis que les facilités qu’auraient pu lui procurer ses pouvoirs divins. Les succès obtenus ont été sans lendemains parce qu’il a refusé de les utiliser pour prendre le pouvoir en soulevant ses disciples. Son comportement l’a conduit, presque naturellement, à la mort au grand dam de ses fidèles qui, jusqu’au moment de la séparation, ont espéré de lui un sursaut aboutissant enfin à une attitude efficace pour bouleverser effectivement l’ordre des choses.
Pour la première fois Pierre, dans son discours, se met à l’unisson du comportement de son maître. Il n’attend plus le miracle d’un Royaume qui viendrait tout seul, il prépare l’église à vivre la mission dans l’histoire. La conversion était primordiale. La suite ne pouvait pas se réaliser tant que Pierre n’était pas prêt, tant qu’il n’était pas sorti de l’attentisme et l’église avec lui.
La même conversion s’impose à nous. Quand allons-nous abandonner l’idée qu’il suffit d’attendre pour que le Règne vienne, cesser de croire que la puissance de l’Esprit va tout réaliser sans notre collaboration, que la force du message de Jésus est assez grande pour que tout ceux qui le découvrent se mettent spontanément à sa suite ? Il est sain de chercher les raisons de rendre gloire, mais tout aussi important de se mettre en quête des germes du Royaume qui vient, afin de les révéler et de permettre leur développement. Faire le deuil de l’automaticité du succès de la Parole est la première condition de la mission.
La Pentecôte 2, 1-41
Une fois cette conversion réalisée, l’Esprit Saint peut tomber sur les Apôtres d’une manière efficace. L’Esprit, ils l’avaient reçu à plusieurs reprises de la part du Ressuscité. Sans doute les avait-il réconfortés, raffermis dans leur foi, mais pas assez bousculés pour les faire sortir d’eux-mêmes et les transformer en missionnaires. Ils n’étaient pas prêts, ils n’étaient pas encore passés de la position d’attente à celle d’acteurs potentiels. Maintenant qu’ils sont disponibles, la force de l’Esprit prendra toute sa mesure en eux et ils sortent, ils parlent, ils témoignent.
Le discours de Pierre à la Pentecôte n’est pas très argumenté théologiquement, il est de l’ordre du kérygme, de la première proclamation qui s’appuie sur des passages de l’Ancien Testament pour ancrer le message dans l’histoire du salut, qui se centre ensuite sur la personne de Jésus et sur son histoire avant d’en arriver à la proclamation essentielle : « Dieu l’a ressuscité ». L’appel à la conversion et au baptême vient clôturer l’épisode. Trois mille personnes se convertissent en une seule fois ce qui constitue un bon départ pour la communauté naissante et est de bonne augure pour la suite.
Il y a cependant un deuxième appel à la conversion adressé aux Juifs et, à travers eux, à chacun de nous. Pierre commence par une accusation violente : « ce Jésus que vous avez crucifié » 2,36. Personne ne peut s’exempter du péché, chacun porte une part de responsabilité dans la condamnation et la mort du Christ. Effectivement, il est dit qu’ils sont « piqués au cœur » 37 par l’accusation. Pourtant, Pierre n’en reste pas là puisqu’il poursuit : « elle est pour vous la promesse, ainsi que pour vos enfants… » 39. Il renverse en bénédiction la malédiction qui pesait sur eux après qu’ils aient demandé que le sang de Jésus retombe sur eux et sur leurs enfants, Mt 27, 25. La compromission dans le « crime » de la croix est essentielle pour entendre la nouvelle de la délivrance et du pardon par la résurrection. Jésus n’est pas venu pour les bien portants mais pour les malades. Mt 9, 12.
Les Actes posent la question du contenu de nos proclamations de foi. Qu’échangeons-nous avec ceux qui nous posent des questions et avec ceux qui nous semblent en attente ? Est-ce que nous sommes suffisamment confiants au Christ ressuscité pour oser en parler ouvertement, en croyant moins en nos capacités de persuasion qu’à la force du message du Ressuscité qui rejoint les attentes des hommes. Il ne s’agit pas de polémiquer avec ceux qui nous refusent, encore moins de nous donner en exemple, mais d’avoir confiance dans la Parole qui nous dépasse et dont nous sommes les porteurs. Le texte nous invite également à ne pas trop rapidement nous affranchir du péché de tous. Nous ne sommes pas des gens à part, c’est parce que nous nous sentons pécheurs comme les autres qu’avec eux nous attendons la miséricorde et que nous la proclamons.
Les miracles et les persécutions 3 ; 4 ; 5, 12-16 ; 9,32-43…
Pierre ne se contente pas de faire des beaux discours pour enflammer les foules. À la suite de son maître, il agit, il donne la preuve de l’efficacité de ce qu’il annonce : il fait bondir les boiteux, guérit les malades que son ombre touche, fait lever les paralysés, redonne la vie aux morts…
L’invitation nous revient à nous qui nous prétendons disciples de ce même Jésus. Il ne s’agit plus de guérir des malades. Pour eux il y a des médecins ou des psychologues en général beaucoup plus efficaces. Par contre il existe bien d’autres aveuglements, bien des gens paralysés par leur genre de vie ou leur histoire, enfermés dans leurs habitudes et incapables de sortir de leur quotidien pour s’ouvrir à un ailleurs, des gens qui ont perdu l’espoir et qui se retrouvent sans perspectives, on en trouve certains qui sont quasiment en état de mort apparente tant ils sont sans réactions. Peut-on leur rendre la vie, le mouvement et l’être ? Comment sommes-nous capables de rejoindre notre prochain dans ses angoisses et ses misères comme dans ses espoirs ? Nous mêmes partageons les mêmes incertitudes et ce n’est pas en donneurs de leçons que nous allons vers eux mais en chercheurs, comme eux, à moins qu’ils ne cherchent même plus.
Qu’avons-nous à apporter aux autres au niveau du sens, de la manière d’être des hommes, de la façon de vivre et de construire un monde plus juste ? En quoi sommes-nous intéressants pour eux ? Nous sommes encore attendus parce que chrétiens, c’est du moins notre espérance et la source de notre désir d’être missionnaires. Il ne s’agit pas de savoir si nous sommes capables ou non puisque ce n’est pas de nous qu’il s’agit mais de l’espérance dont nous sommes les témoins. Les Chefs du peuple et les anciens « étaient surpris en voyant l’aisance de Pierre et de Jean, et en constatant que c’étaient des hommes quelconques et sans instruction. Ils reconnaissaient en eux des compagnons de Jésus… » 4,13. Être reconnus comme des disciples de Jésus, il n’y a que cela de vrai, quant aux compétences, il faut faire avec ce qu’on a et avec ce que l’on peut acquérir.
Pourtant les Actes des Apôtres nous montrent Pierre et les autres, non pas triomphants mais en butte constante à la persécution. On peut se demander pourquoi puisqu’ils ne font que du bien semble-t-il. Ils ne font pas mieux que leur maître. Pierre est arrêté à plusieurs reprises, emprisonné, fouetté, relâché… Comme quoi tout n’était pas gagné après la victoire de Jésus sur les forces du mal.
Nous sommes dans les mêmes dispositions, encore étonnés des résistances que nous rencontrons, choqués par les violences que nous suscitons parfois nous qui nous croyons tellement innocents. D’abord nous ne sommes pas si clairs que nous le prétendons, ni personnellement ni en église, et ensuite il n’est pas étonnant que beaucoup rejettent le message que nous apportons. Il suffit de reconnaître les résistances qu’il trouve en nous. Nous sommes sans cesse en train de nous battre contre nos limites, nous tournons régulièrement le dos à ce que nous savons pourtant apporter le bonheur et la plénitude de la vie, et nous voudrions que ceux qui nous entourent acceptent de suivre le Christ sans résistances !
Dans le même sens, les récits des débuts de la première communauté chrétienne se font l’écho à la fois de l’idéal recherché et à la fois des difficultés rencontrées. Nous y reconnaissons nos propres contradictions.
Une belle utopie et une réalité moins rose
La communauté de Jérusalem nous est présentée à deux reprises comment vivant dans la perfection évangélique : 2,42-47 et 4,32-37. Ils avaient un seul cœur et une seule âme, ils partageaient tout… C’est très beau, trop beau pour être vrai sur le long terme. Nous sommes pris entre l’admiration devant une telle perfection et le scepticisme au vu de ce que nous sommes capables de vivre de notre côté. Nous sommes trop au fait de la nature humaine pour croire que tout peut se passer ainsi.
Effectivement au moins deux événements viennent ternir cette première image.
Il y a d’abord l’épisode de Ananie et Saphire, un couple qui fait semblant de donner l’intégralité du prix d’un champ vendu alors qu’il en garde une partie. Ils en meurent successivement mais cela constitue une sorte de péché originel de la première église. Le choc est important et la désillusion particulièrement grande, dans la ligne du choc provoqué par la défection de Judas. Comment se fait-il que des croyants, transformés en principe par la parole du Christ et remplis de l’Esprit restent sensibles à des tentations matérielles. Il s’agit peut-être d’ailleurs moins d’avarice que d’orgueil. Personne ne les obligeait à faire ce don, mais ils ont essayé de faire croire qu’ils étaient capables d’une générosité au dessus de la moyenne, ils ont cherché à dépasser les autres dans ce domaine alors qu’on ne leur demandait rien. Le scandale est criant quand il prend corps dans une assemblée de parfaits ou du moins de disciples qui cherchent à le devenir. Il manifeste que la suite du Christ ne supprime pas tous les problèmes, il n’y a pas de transformation totale et définitive des personnes, chacun reste fragile et soumis au péché.
Le récit apparaît comme une sorte d’avertissement, de mise en garde contre une trop grande confiance en soi. Il est dramatisé pour mieux faire ressortir ce que l’affaire a de scandaleux. La mort aussi soudaine que mystérieuse des deux protagonistes qui tombent successivement aux pieds de Pierre, là même où l’argent avait été déposé, ne peut que frapper les esprits : « Une grande crainte saisit toute l’église et tous ceux qui apprenaient la nouvelle. » 5,11. Il ne s’agit pas d’une faute légère puisque Pierre parle d’un mensonge à l’Esprit 3 puis au verset 4 : « ce n’est pas à des hommes que tu as menti mais à Dieu ». La mort semble bien un effet du mensonge sans que l’on parvienne facilement à préciser le rapport qui les unit.
On rencontre parfois une telle prétention chez certains chrétiens, tellement assurés de leur foi et de leur morale qu’ils se présentent comme des modèles à imiter. Malheur à eux et à l’église s’ils font preuve de faiblesse. On pardonne difficilement la moindre incartade à quiconque prétend à la perfection. Ananie et Saphire sont là pour nous rappeler que la rencontre du Christ ne nous délivre pas totalement de notre tendance à vouloir surpasser les autres, y compris dans ce qu’ils ont de meilleur. La conversion à laquelle nous sommes invités par le Christ suppose un bouleversement tellement profond de notre être qu’il ne se réalise pas d’un seul coup, que nous n’y parviendrons jamais complètement. Attention à ne jamais l’oublier.
Le deuxième épisode qui révèle des difficultés dans la vie de la première communauté concerne les frères de langue grecque qui trouvent qu’on ne s’occupe pas assez de leurs veuves. Les petits côtés des croyants que l’on pensait dépassés reviennent à la surface ce qui désole ceux qui imaginaient toucher à la perfection. Les chrétiens qui viennent du judaïsme se considèrent plus ou moins consciemment comme supérieurs à ceux qui sont de langue grecque. Même s’ils sont tous juifs, ils prétendent à une certaine prééminence du fait de leur origine. Ainsi, dès les origines, apparaissent des dissensions dans le groupe des premiers chrétiens, à nouveau d’autant plus scandaleuses qu’elles ne devraient pas exister entre des gens qui se prétendent frères et qui s’appellent ainsi entre eux. Comment est-ce possible ? Les Douze sont désemparés, ils se sentent même dépassés par les événements au point d’en venir à instituer des diacres pour les seconder dans leurs tâches. La première mission de ces derniers était sans doute de répondre au problème de l’heure, mais leur rôle s’est rapidement élargi puisque étienne et Philippe se sont fait remarquer plutôt pour leur activité missionnaire. Ils ne sont désignés ni comme des Hellénistes, ni comme des Hébreux mais comme les « Sept », remplis d’Esprit Saint, à distance des polémiques qui agitaient la communauté.
Il y a deux manières d’interpréter ces événements. On peut y voir des problèmes matériels non élucidés entre les disciples. Ce ne serait qu’un moindre mal et la solution des Douze devrait suffire s’il ne s’agissait que de cela : une réorganisation du système. Le scandale serait moins grand mais il ne semble pas que ce soit uniquement une question d’argent. Le problème concerne notre nature humaine où le désir de domination l’emporte sur tout, même quand il s’agit des aspirations les plus nobles. La violence continue à se manifester. Les petits côtés de l’homme remontent constamment à la surface alors même qu’il est sauvé et animé par l’Esprit de Dieu.
Les Actes des Apôtres nous rappellent à la modestie, rien n’est gagné, aucun changement n’est total tant que le Royaume n’est pas arrivé en plénitude. La première lettre de saint Jean nous met en garde elle aussi contre les conversions partielles et contre le risque qui menace les croyants de retomber dans leurs erreurs passées.
L’église progresse malgré et grâce aux difficultés
Le frappant dans les Actes est qu’à la fois les problèmes ne sont pas masqués et qu’en même temps ils sont montrés comme des occasions de progrès pour l’église. Après chaque persécution les frères se retrouvent pour rendre grâce, de nouveaux convertis se joignent au groupe. Des chiffres sont avancés régulièrement pour montrer que le nombre des croyants augmente. C’est grâce aux persécutions que les disciples sont obligés de partir, de quitter leur base pour aller plus loin, vers d’autres lieux, d’autres personnes. étienne puis Jacques meurent en martyre et l’évangile atteint la Judée et la Samarie. Il est manifeste que l’Esprit Saint utilise pour le plus grand bien de la mission ce qui est vu négativement. C’est le refus par les juifs de la prédication des apôtres qui renvoie ces derniers vers les païens ce qui ouvre l’église naissante à l’universalité et Paul est sans cesse contraint de partir des villes où il a mis en place un embryon de communauté, il part plus loin porter la Parole de gré ou de force, non sans avoir organisé chacune des assemblées qu’il aura le souci de relancer par ses lettres.
L’épisode le plus significatif est la suite de l’institution des diacres. Dépassant leur premier rôle, ils sont dispersés par la persécution et se mettent à évangéliser à leur tour, ce qui n’était peut-être pas prévu au départ. On retrouve Philippe sur la route en train de convertir l’eunuque de la reine Candace au chapitre 8.
L’église est prise dans une contradiction fructueuse : elle cherche à s’organiser et ses tentatives de mise en œuvre sont bousculées par les événements. L’Esprit est désigné comme celui qui déstabilise et amène plus loin. Sans conteste, les efforts d’organisation sont bénéfiques et sont un gage de stabilité pour les communautés chrétiennes, à condition cependant de ne pas s’y complaire.
Le récit des Actes est une invitation qui nous est adressée à nous aussi. Les difficultés sont moins traumatisantes et le scandale est moins grand quand elles nous viennent de l’extérieur. Souvent les deux origines sont concomitantes quand les adversaires de l’église utilisent les moindres failles pour essayer de la mettre en danger. Nous sommes pourtant invités à suivre l’exemple des premiers disciples qui tentent de voir, derrière les obstacles qui se dressent devant eux, la marque de l’action de l’Esprit qui cherche à élargir l’église et à la faire sortir de ses ornières et des habitudes qui l’enferment dans ce qu’elle bâtit au dépend de la nouveauté de l’annonce.
L’Esprit nous aide à découvrir les possibles qui sont les germes de l’église future et quand nous faisons preuve d’aveuglement, il n’hésite pas à nous les faire prendre en compte, au besoin à notre corps défendant.
La deuxième conversion de Pierre 10 et 11
Le deuxième tournant décisif de l’église naissante, l’ouverture aux païens, est pris grâce à Pierre en particulier, même si l’intervention de Paul s’est révélée décisive. Il s’agit d’abord de la rencontre avec le centurion Corneille.
L’épisode est connu et comporte plusieurs rebondissements dans lesquels l’Esprit prend une place prépondérante. Ce dernier commence par suggérer à Corneille de faire appel à Pierre. Il provoque ensuite l’apôtre par une vision qui met en cause sa perception d’un Dieu pour qui les questions de pureté seraient essentielles. Quand les deux personnages se rencontrent, ils sont déjà prêts à se convertir mutuellement. Tout ne va pas de soi : Pierre doit mettre en pratique ce que sa vision lui avait suggéré et Corneille doit, de son côté, quitter ses anciennes pratiques.
Toujours est-il qu’ils se retrouvent et s’écoutent, mais une fois de plus l’Esprit prend l’initiative en tombant par surprise sur des païens non baptisés. Du coup, Pierre se sent obligé de leur donner le baptême, allant bien au delà de ce qu’il avait prévu. Il avait déjà enfreint la loi en entrant chez des païens et voilà qu’il baptise des incirconcis, acte encore plus inimaginable pour lui.
Il s’est laissé emporter et a agit sans trop réfléchir, porté par les événements. Il a été converti au moins autant que Corneille, mais il lui faut ensuite rendre compte de ses agissements et les justifier auprès des circoncis que ses manières de faire scandalisent. Alors il reprend son histoire et déroule les faits tels qu’ils se sont passés. Il rappelle sa vision mais fait le lien également avec une parole du Christ qui lui semble allait dans le sens de ce qu’il a fait. : « Jean a baptisé dans l’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés » 11, 16 et il rajoute : « qui étais-je, moi, pour empêcher l’action de Dieu ? » C’est la deuxième fois que nous rencontrons ce sentiment d’être dépassé qui bouleverse les prévisions et l’organisation première. Si nous pouvions apprendre à raconter de cette manière, à notre tour…
Bienheureux ces hommes qui ne restent pas enfermés dans leurs convictions et leurs principes et qui sont capables de se laisser bousculer par les événements, de privilégier l’imprévu quand il porte du sens pour la mission. Nous aurions sans doute intérêt à nous demander quels sont les principes que nous voyons vaciller et à nous poser la question de savoir où sont les priorités. La rencontre des gens différents instaure automatiquement un décalage entre nos prévisions et les choix qui doivent être faits dans des conditions nouvelles. Régulièrement nous sommes pris entre le souci de la fidélité à la tradition et celui de nous faire proches de ceux qui ne nous ressemblent pas tout à fait. Les décisions à prendre ne s’imposent pas toutes d’une manière évidente. Nous sommes à la recherche du juste compromis, quand nous n’allons pas jusqu’à des transgressions assumées.
La conversion de Pierre n’a pas été totale d’emblée. Conscient d’être allé très loin, il a hésité par la suite, changeant d’attitude selon l’origine des chrétiens avec qui il se trouvait. Paul lui a reproché son double langage et l’a sommé de prendre une attitude claire. Le conflit s’est résolu lors de l’assemblée de Jérusalem où Pierre, Paul et enfin Jacques se sont mis d’accord sur une attitude commune. Ch.15.
Nous sommes aussi emportés par de grands élans sans lendemain et nous rencontrons des personnes qui, un moment séduites par la personne du Christ, ont des envies qui ne durent pas. Elles sont sincères sur le coup, mais sont reprises par un quotidien qui les éloigne des questions fondamentales. Notre propre histoire est tout aussi chaotique, elle passe par des hauts et des bas dont nous souffrons sans pouvoir les éviter. Nous avons besoin les uns des autres et d’une église pour nous guider et nous porter dans les moments difficiles, pour nous montrer des directions quand nous nous perdons sur les chemins.
La mission n’est pas le fait de croyants remplis de certitudes, mais de chercheurs avides de se retrouver avec d’autres chercheurs, croyants ou non, pour renforcer leurs espérances communes. Le chemin n’est pas tracé par avance, il se découvre au fur et à mesure de nos avancées. Nos errements sont la trace de notre cheminement au cours duquel nous rencontrons nos frères les hommes pour faire un bout de route avec eux.
La consigne était d’aller jusqu’au bout du monde et c’est ce qu’ont fait les disciples qui sont allés jusqu’au bout du monde connu de leur temps. Mission accomplie et pourtant Paul se retrouve seul à Rome. Aller jusqu’aux extrémités de la terre n’est pas le seul but de la mission, il reste ensuite à se mettre effectivement à la suite de Jésus et cette mission n’est pas prête de se terminer, pour ce qui nous concerne déjà mais aussi pour ceux qui n’ont pas encore découvert la Bonne Nouvelle. La tâche est immense et sans cesse à renouveler. Voilà pourquoi sans doute le récit des Actes des Apôtres, s’il est celui des débuts de l’église, ne s’achève pas en apothéose. Il finit par des points de suspension parce qu’il est sans cesse à reprendre, jusqu’à la fin des temps. Le Père seul est capable de mettre un point final à l’histoire de l’église en faisant une Création nouvelle et ce sera quand il le voudra.
En attendant il nous appartient d’en écrire une page.