Le temps des prophètes est terminé, nous sommes entrés dans celui du Royaume. 168 fois il est question du Royaume dans les évangiles et il me semble que nous en parlons bien peu. Comment se fait-il que nous l’ayons si peu intégré dans notre spiritualité alors que c’est le centre de la prédication de Jésus ?
Le mot ne nous plaît pas c’est vrai avec ses accents d’Ancien Régime, mais ne faudrait-il pas chercher au-delà ?
Alors j’ai essayé d’y réfléchir, avec l’aide de Yves de Montcheuil, histoire de vous donner des devoirs de vacances !
Un Royaume déconcertant
Parler de Règne de Dieu sur la terre pourrait porter à sourire quand on voit ce qui s’y passe. Le Royaume est déconcertant parce qu’il a ses exigences propres, déstabilisantes pour tous. Le choisir entraîne des décentrements importants par rapport à nos manières de faire habituelles.
Les Juifs attendaient ce Royaume et pourtant ils ont été décontenancés par celui que leur annonçait Jésus. Ce n’était pas la libération de l’occupation romaine qu’ils espéraient. Les évangiles insistent sur l’incompréhension des foules, des Pharisiens et même des disciples. Jusqu’à l’ascension de Jésus ces derniers croyaient encore à la venue d’un Royaume terrestre où ils auraient leur place (AA 1,6). Un malentendu constant handicape la prédication de Jésus ; plus ardu que s’il prêchait quelque chose de tout nouveau. Il y a comme un quiproquo continuel. Ce n’est qu’après la Pentecôte qu’ils ont commencé à mettre de la distance par rapport à leurs attentes et ce n’est que progressivement qu’ils ont compris que la promesse du retour du Christ n’allait pas se réaliser immédiatement sous une forme observable.
C’est une caractéristique constante du Royaume : il n’est jamais parfaitement là où on l’attend, il est en décalage permanent par rapport à nos attentes et à nos réalisations Cela reste la cause principale de scandale pour les croyants qui ne comprennent pas comment il se fait que Dieu n’exauce pas leurs demandes et qui ne parviennent pas à accepter qu’ils sont peut-être exaucés d’une manière autre que celle qu’ils attendaient. le Royaume n’est pas dans le droit fil de ce que nous nous efforçons de construire.
La tentation est, en conséquence, de nous rassurer en réduisant la venue du Royaume à des réalités plus conformes à nos attentes, en refusant de nous laisser bousculer par lui. Les tentations sont de trois ordres :
Une conception trop purement intérieure et individualiste : le Royaume vient au dedans de chacun.
Une conception trop uniquement spirituelle : elle manque de réalisme et fait abstraction des conditions sociales de réalisation du Royaume
Une conception trop extérieure : elle confond le Royaume avec ses répercussions temporelles.
Qui veut entrer dans le Royaume doit prendre conscience qu’il n’est jamais arrivé, y compris quand il en goûte les prémices.
Domination de Dieu
Le Royaume, depuis l’Ancien Testament, n’est pas une realisation de nos desirs puisqu’il désigne la domination de Dieu sur le monde, le gouvernement divin. La conséquence en est l’instauration d’un peuple qui lui est soumis.
Cependant, la notion de roi est différente de la nôtre. Pour nous elle implique immédiatement une idée de commandement et de suprématie, un droit pour celui qui gouverne d’utiliser ceux qu’il gouverne en vue de son utilité et de son intérêt. Il n’en est pas de même dans le monde sémitique où la royauté est d’origine surnaturelle. Elle est comprise comme la protection du faible contre le fort. Le règne de Dieu ne ressemble pas à celui d’un roi humain, il se caractérise par l’attention donnée aux petits et aux pauvres, aux malades et aux rejetés. C’est bien ce que dit Jésus, en particulier dans les Béatitudes ou en Mt 12-28. La gloire de Dieu c’est faire en sorte que les petits aient toute leur place et son Royaume est là quand cela se réalise, au moins pour une part.
Pourtant il ne s’agit que de la conséquence du choix décisif que l’homme est invité à faire en faveur du Royaume. La vie du chrétien doit être tout entière commandée par l’idée du Royaume, de telle manière qu’elle perde tout son sens si le Royaume n’existe pas. Autrement dit, la vie chrétienne, dans son principe, ne connaît pas le partage : elle n’est réelle que si elle prend tout. C’est sa caractéristique, à l’encontre de tous les autres modes de vie. Pour la vie intellectuelle, la vie esthétique, la vie sociale, il y a un dosage à établir ; non pour la vie religieuse. Celle-ci n’exclue pas les autres, mais elle est d’un autre ordre : elle ne peut pas se juxtaposer à elles ; il faut que, prenant tout l’homme, elle pénètre ses autres modes de vie. La présence de Dieu ne chasse pas l’humain : elle le pénètre et le transforme. Mais l’humain doit se laisser pénétrer tout entier ; il doit se laisser pour ainsi dire enlever à lui-même dans une kenose fondamentale dans laquelle il n’est pas facile d’entrer parce qu’elle nous met en danger.
À suivre…
Une idée du Royaume !