
Jésus, dans ce texte de saint Marc, souffle le chaud et le froid.
Les descriptions du début sont angoissantes : ne font-elles pas écho à notre état d’esprit actuel ? Certes, nous ne craignons plus que le soleil nous tombe sur la tête mais nous ne manquons pas d’autres sujets d’inquiétude : les épidémies, les guerres et les autres formes de violence, les menaces de notre environnement, les évolutions des mentalités, sans compter les craintes irraisonnées qui perturbent notre rapport aux autres. Les alarmes qui se multiplient nous font perdre confiance dans l’avenir. Ces peurs s’aggravent encore chez ceux qui, ayant des enfants, se demandent ce qui va leur arriver : quelle planète et quelle société allons-nous leur léguer ?
Toutes les puissances sont ébranlées et l’Église elle-même est mise en cause du fait de ses agissements coupables. Comment parler d’amour et de paix dans un monde qui se déchire ? Où positionner Dieu dans ce contexte qui bouscule nos assurances ? La démarche est d’autant plus difficile que nous n’entendons parler autour de nous que de ce qui va mal. C’est seulement le pire qui, rabâché sans cesse et partout, impose sa violence : ainsi finissons-nous par ne plus voir que lui…
Dans cet Évangile, nous retrouvons bien l’image des craintes qui nous habitent.
Mais voici la deuxième partie du texte qui tranche complètement avec ce qui précède : Jésus est là, avec puissance et gloire, manifestation éclatante de ce Dieu d’amour qui vient nous libérer du mal et nous sauver de nos angoisses. Il rassemble les hommes, les vivants comme les morts, pour les conduire jusqu’au Père. La terre et le ciel se réconcilient grâce à sa mort et à sa résurrection ouvrant une nouvelle dimension à l’existence où l’espérance retrouve sa place.
Il est cependant difficile d’abandonner nos réticences devant une vision aussi idyllique ! Ne serait-ce pas un discours sans consistance, une prédication cherchant à nous sécuriser à bon compte en nous proposant de détourner les yeux de la triste réalité ? L’annonce de la venue triomphale de Jésus serait-elle un tranquillisant tout juste bon à apaiser nos angoisses ? L’inquiétude née de la première vision reste d’actualité, malgré nos désirs de la voir disparaître comme par magie. Quoi qu’il en soit, Jésus nous invite à croire que le mal n’aura pas le dernier mot, que sa mort et sa résurrection ont provoqué dans le monde un tournant décisif qui ne sera pas remis en cause quoi qu’il arrive.
Mais ne s’agit-il pas d’une nouvelle illusion ? Pour nous donner de l’assurance, la troisième partie du texte cherche à asseoir notre foi dans l’avenir sur des bases concrètes. Il est clair que la partie n’est pas gagnée, nous sommes loin du grand soir ou, selon les mots de la Bible, de la Parousie. Notre terre n’a pas encore accouché du monde nouveau, elle est toujours, comme le dit saint Paul, dans les douleurs de l’enfantement. Aussi Jésus évoque-t-il les débuts du printemps : ce n’est pas encore l’explosion des forces de la nature mais la période au cours de laquelle les prémices du renouveau commencent à se faire sentir.
Les signes sont discrets : les branches s’assouplissent, les bourgeons commencent juste à éclore, mais on sent bien que quelque chose de neuf cherche à apparaître.
Retrouver l’espérance suppose donc de faire attention aux choses qui pointent, en étant persuadés que ce qui porte l’avenir du monde, ce sont les graines qui germent et non le fracas des armes. Alors, allons-nous, comme la plupart des gens, rester fascinés par le déferlement des images de mort qui défilent sous nos yeux, à ne voir que ce qui met notre vie et celle de la planète en danger, ou bien allons-nous traquer avec obstination les moindres promesses de vie pour participer à leur développement ?
Loin d’espérer contre toute espérance en nous efforçant de croire que, comme dans les bons westerns, les meilleurs vont gagner à la fin, nous nous engageons en confiance dans le monde d’aujourd’hui. Guidés par ce regard de détective qui permet de découvrir ce qui est promesse de vie, nous donnerons une chance aux forces de transformation de s’imposer progressivement. Ce sont des plantations fragiles, comme les enfants et les jeunes d’aujourd’hui. À nous de leur proposer les conditions qui les aideront à réaliser leurs potentialités, quand bien même elles n’iraient pas dans les directions que nous souhaitons.
Le texte dit : « le Fils de l’homme est proche, à notre porte ». Pour le laisser entrer, il faut croire à la vie en lui permettant de prendre son essor. Nous n’en sommes qu’au printemps, sans être sûrs de pouvoir dépasser cette étape mais habités par la volonté de vivre ce temps, dès aujourd’hui, sans attendre des lendemains qui chantent. Apprenons au moins la confiance dans la vie naissante… même si personne ne sait quand il règnera, le Fils de l’homme est proche.