Regardant alors ses disciples, Jésus dit :

« Heureux, vous les pauvres :
le royaume de Dieu est à vous !
Heureux, vous qui avez faim maintenant :
vous serez rassasiés !
Heureux, vous qui pleurez maintenant :
vous rirez !
Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent
et vous repoussent,
quand ils insultent
et rejettent votre nom comme méprisable,
à cause du Fils de l’homme.
Ce jour-là, soyez heureux et sautez de joie,
car votre récompense est grande dans le ciel :
c’est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes.
Mais malheureux, vous les riches :
vous avez votre consolation !
Malheureux, vous qui êtes repus maintenant :
vous aurez faim !
Malheureux, vous qui riez maintenant :
vous serez dans le deuil et vous pleurerez !
Malheureux êtes-vous
quand tous les hommes disent du bien de vous :
c’est ainsi que leurs pères traitaient les faux prophètes.
La préférence pour les pauvres, les rejetés, les méprisés, l’affirmation du malheur des riches et des repus sont des constantes dans la prédication de Jésus. Il n’est pourtant pas de bon ton de les évoquer. Une fois que je m’y étais laissé aller, on m’a rapporté la réflexion de bonnes gens à la sortie de la messe : « il n’y a plus qu’à chanter l’Internationale ! »
On peut aussi transformer les pauvres en pauvres de cœur, ce que Luc ne fait pas, mais qui élargit le propos. Certains diront aussi que les pauvres manquent parfois de modestie et sont riches de certitudes, alors que les riches sont capables de ne pas écraser les autres par leurs richesses et bien d’autres manières d’accommoder les évangiles à notre sauce.
Pourtant l’invitation à choisir demeure, dans sa radicalité, pour qui prétend au titre de chrétien. Malgré tout, il ne me semble pas qu’il s’agisse seulement de justice sociale ou de donner à manger à ceux qui ont faim. Ce n’est pas interdit et Jésus a nourri les foules affamées, il a guéri les malades et ressuscité des morts, mais là n’était pas l’essentiel de sa mission, il s’agissait de signes.
Aujourd’hui comme hier, le choix des modalités de ces actes n’est pas de l’ordre de la religion mais de celui de l’analyse politique et sociale. Ce n’est pas au nom de ma foi que je regarde avec réticence les pratiques d’assistanat et que je préfèrerais que les pauvres se prennent en main, mais par choix politique et philosophique.
Il reste que quand Jésus nous donne les pauvres en exemple, qu’il les déclare heureux, c’est des vrais pauvres dont il parle, ce qui rend sa parole beaucoup plus percutante et étrange pour nous qui ne voyons que les désavantages du dénuement. Il devient difficile de trouver des échappatoires vers une bonne conscience facilement gagnée ou de limiter ses propos à une invitation à un changement intérieur.
La question demeure : ces pauvres qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous ? En quoi s’agit-il de les imiter ?