Notre Dieu ne fait pas de bruit. Il se manifeste d’avantage par sa retenue et sa discrétion que par le bruit et la fureur. Il peut même se faire que nous regrettions son trop profond silence. Nous sommes habitués à ce que les puissants s’imposent par des étalages de force ou par des discours qui en imposent. Rien de tout cela avec notre Dieu qui semble plutôt faible, absent de la scène du monde, qui ne prend pas sa place dans le concert des puissants. Il faut faire le silence en nous pour accéder à son intimité. Il faut arrêter de courir. Il faut se taire.
Peur du silence
Nous avons besoin de temps pour faire silence, pour que le tumulte de nos journées s’apaise. D’autant que le silence nous fait peur. La panique nous prend quand remonte du plus profond de nous-mêmes ces inquiétudes, ces angoisses, ces questions, ces désirs que nous mettons beaucoup d’énergie à repousser, à enfoncer, à ignorer. Ils ne demandent qu’à rejoindre la surface et le moindre temps de silence ou de calme nous semble mettre en danger notre paix illusoire et notre tranquillité. Nous n’osons pas vivre éveillés.
Il y a silence et silence
Certains silences nous enferment et d’autres nous ouvrent.
• La futilité ne manque pas d’intérêt, surtout en vacances, à condition cependant qu’elle ne soit pas synonyme de désœuvrement, ou au contraire d’agitations qui ne servent qu’à faire écran à l’ennui, qu’à s’occuper à des riens pour oublier notre vide intérieur, pour tuer le temps.
• Le silence nous ouvre quand il nous permet de goûter l’instant, de nous arrêter devant la beauté pour la contempler et nous en nourrir. « Le Seigneur a fait pour moi des merveilles » dit Marie. « Merci pour la merveille que je suis » dit Claire d’Assise. Le silence donne chair, il nous permet d’habiter notre vie et nos relations, de retenir le temps qui coule pour en jouir dans la paix.
• Les silences sont lourds quand ils font suite à des fâcheries, quand ils sont le signe d’une tension entre les êtres, quand ils expriment le repliement sur soi, le refus de laisser les autres parvenir jusqu’à nous au risque de bousculer notre quiétude. Par peur de laisser voir nos faiblesses, nous nous durcissons, nous créons une carapace de protection, nous nous emmurons dans le silence.
• Les silences sont riches quand ils sont le point d’orgue d’un moment de paix, de partage, d’amitié ou d’amour, quand ils viennent à des moments où nous sommes simplement heureux d’être là, ensemble. Les silences nous rendent meilleurs s’ils nous permettent de mettre de côté notre tumulte intérieur pour nous ouvrir à l’autre avec ses questions, ses propositions, son envie de faire un bout de route avec nous.
Faire silence
Faire silence c’est accepter de nous laisser faire, laisser de la place aux autres et à Dieu pour qu’ils viennent jusqu’à nous. Obsédés par notre désir d’autonomie, nous en venons à oublier que la vie, comme la plupart de nos richesses viennent de notre histoire avec les autres, du partage. Faire silence permet de lâcher prise, de se détendre, d’apprendre la confiance et l’amour. De goûter le chemin parcouru ensemble.
Désireux de nous construire, nous finissons par penser que nous nous donnons la vie. Nous oublions qu’elle nous vient de Dieu et que c’est de lui que nous avons à la recevoir. Faire silence, en oubliant nos récriminations à son égard, évite de faire barrage au flot de vie et d’amour qui nous vient de lui. Nous nous rendons disponibles, nous acceptons de nous recevoir d’un autre, nous prenons conscience que l’Esprit nous porte et nous anime. La vie n’est plus un combat mais une grâce. Mais il nous arrive d’avoir peur des bouleversements que pourrait produire en nous la vie avec Dieu.
Le bruit est diabolique
Nous avons de la peine à nous mettre en silence. Notre environnement est plein de rumeur, de paroles vides, de musiques. Nous vivons dans un bruit de fond permanent qui laisse peu de place au calme. Même en vacances nous avons du mal à nous retrouver, à penser, sans nous abrutir de mots, de lectures, de musique… Le bruit est diabolique au sens où il nous détourne de nous-mêmes et de Dieu
Le tumulte de la fête fait parti des moments riches tant qu’il ne prétend pas prendre toute la place. La fête permanente n’est plus une fête, elle est évasion, fuite de la réalité, perte de soi. Le bruit est une drogue qui nous empêche de penser et d’échanger.
Jésus s’éloignait, il s’écartait souvent de la foule, il partait dans des endroits déserts avant toute décision importante, il se retirait pour prier loin de la foule et de ses sollicitations.
Il est bon de respecter un équilibre entre les temps intenses, les périodes de forte activité et les temps de reprise dans le calme et le silence qui construisent notre personnalité.
Le silence pour des paroles pleines
Le silence ne consiste pas à faire le vide, mais à faire le plein. Beaucoup de nos rencontres sont vides, dépourvues d’intérêt parce que sans but et sans contenu. La plupart des paroles que nous échangeons sont sans importance parce qu’elles servent à meubler, à masquer la peur de se retrouver en silence. Nous sommes tellement obsédés par nous-mêmes qu’il nous arrive aussi de couper la parole de l’autre, persuadés que nous seuls avons de l’importance ou empêtrés dans la peur d’être oubliés.
Les seules idées intéressantes que nous avons à partager sont celles que nous avons méditées dans le silence intérieur, les récits qui ont de l’intérêt sont ceux que nous avons mûris, tenté d’expliquer par nous-mêmes avant de les exposer aux autres. Les paroles sont le fruit de nos silences, des mouvements intérieurs qui nous animent quand nous parvenons à les mettre en forme. Le reste est bavardage.
Les paroles, quand elles ne servent pas uniquement à maintenir les relations sociales, demandent le calme, le retour sur soi et sur la vie. Quand elles passent par le silence, sont précédées par lui, elles ne se limitent pas à un bruit de fond, elles deviennent communication.
C’est aussi le sens de la prière : un moment, dans le silence et la solitude, au cours duquel nous parlons à Dieu de notre vie, de nos attentes et de nos problèmes. Un moment aussi où nous arrêtons de lui parler pour nous tenir simplement là, devant lui, disponibles, en attente de sa grâce, simplement ouverts à l’inconnu de son appel. Même les mots de Dieu, ceux de la Bible, ne prennent vraiment vie que dans le silence de la méditation.
Notre vie de foi en église ne se limite pas au silence et à l’intériorité. Nous avons aussi des moments de partage et des célébrations qui se veulent festives, où le bruit n’est pas absent, où les chants, les textes proclamés et les gestes rythment la prière. La messe n’est pas un moment d’intimité avec Dieu, mais un lieu de communion entre croyants, dans la prière de l’église.
Pourtant, la prière communautaire a peu de chance d’être riche, si elle n’est pas l’aboutissement d’une vie personnelle avec Dieu.