Yaya

J’ai célébré les obsèques de Yaya. C’était une figure du Cap-Ferret. Algérien et musulman, vivant avec une petite retraite de l’armée qu’il complétait avec de petits boulots, il a réussi à remplir l’église, avec surtout des gens du pays, des petits commerçants, des gens du marché, des ostréiculteurs. Il avait choisi la France au risque de sa vie, alors les anciens combattants étaient là avec leurs drapeaux.
Il n’avait pas de famille. La demande est venue par l’intermédiaire des patrons du bar du coin et de la mairie. Une collecte a largement payé les frais, d’autant que la municipalité avait pris en charge la concession et le cercueil.
« Un musulman qui passe à l’église, ça ne se fait pas ! » « On aurait pu se contenter d’une cérémonie au cimetière ». Ceux qui sont venus me voir pour préparer ont cherché les raisons qui pourraient me convaincre. Elles m’ont surpris : « il faisait une croix sur le pain avant de le couper », « il était allé à Lourdes et cela lui avait fait du bien », « il avait demandé à être enterré à l’église », « il voulait être enterré directement dans la terre »… Il faut dire que j’étais facile à convaincre, heureux que cette église soit un lieu d’accueil ouvert à tous. Elle était plus digne que les allées du cimetière.
Je n’avais jamais fait ce genre de cérémonie. Le maire a fait un discours plein d’humanité et d’émotion, (voir le texte intégral) bel exemple de la complémentarité qui peut exister entre l’église et des responsables politiques lors de moments forts en humanité. David, le patron de la Madrague a dit aussi de belles choses et moi j’ai fait ce que j’ai pu, avec mon expérience des obsèques, en supprimant les mentions de Jésus et les signes de croix. J’ai maintenu l’encensement qui me semblait convenir et j’ai célébré un homme, un personnage de communication, quelqu’un de caractère qui avait réussi à s’intégrer, un croyant. J’avais choisi comme texte d’évangile, Matthieu 25, qui dit qu’on est jugé par ses actes et non par une adhésion explicite à une foi particulière, que Jésus est présent dans les pauvres et les rejetés et que ce que nous leur faisons c’est à Jésus que nous le faisons. Rien que du très classique mais qui correspondait bien à la figure du défunt.
Beaucoup d’émotion au cours de cette cérémonie. Les participants étaient attentifs et touchés, personne n’était là pour faire bien, même parmi les officiels.
C’est Roger qui m’a vraiment surpris. Il est souvent là aux enterrements. Il parle avec moi comme à un ami, on se tutoie, mais, quand j’entre dans l’église, il reste devant la porte, on se reparle à la sortie… J’ai donc été surpris de le retrouver à l’intérieur pour Yaya ! Il a dit ensuite, à moi et à qui voulait l’entendre, qu’il avait été heureux de participer. Rendez-vous aux prochaines obsèques ?
Des barrières sont tombées ce jour-là. Je ne me fais pas trop d’illusions, elles renaîtront. Dans ces domaines, le racisme comme l’anticléricalisme, les progrès sont fragiles et les avancées souvent remises en cause. Mais goûtons les instants de grâce au cours desquels semblent se réaliser les attentes qui portent notre espérance en un avenir meilleur.
Comme un autre symbole, à l’initiative de Monique et grâce à Patrick, le croissant a été remis à la base de la croix au sommet de la chapelle de l’Herbe. (voir les photos). Emblématique de ce lieu de culte où se côtoient les signes religieux de l’Islam et du Christianisme, le croissant avait « mystérieusement » disparu. Il est de nouveau en place, trop grand pour certains, trop petit pour d’autres, il est là.
La presqu’île a quelques aspects d’ouverture étonnants.

Une réflexion sur « Yaya »

  1. Merci pour ce que vous ètes et ce que vous faêtes,
    Ouvert à  tous, respectueux, humain, tourné vers l’amour de Dieu et de sa création et pas vers la discrimination ni le culte du moi.
    Vous avez lancé votre blog avec les mots « il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas accueilli », mais vous et les quelques habitants du Cap-Ferret avez corrigé cela car Yahya n’était pas chez les siens et pourtant vous l’avez accueilli.
    Votre coeur et celui de tous ces gens ont regardé au delà  de Yahya et de sa religion, vous avez vu la créature de Dieu, et vous l’avez traité comme tel.
    Merci pour ce que vous ètes et pour ce que vous faêtes.
    Salambo

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