La femme est l’avenir de l’homme

La femme est l’avenir de l’homme ; j’ai longtemps adhéré à ce vers d’Aragon. Les femmes me paraissaient porteuses de qualités dont les hommes étaient privés, un peu comme si les valeurs des Béatitudes leur étaient plus facilement accessibles : la pauvreté de cœur, la douceur, la capacité d’émotion, le désir de justice, la faculté de pardon, la pureté de cœur, l’engagement pour la paix… À la manière des enfants elles me semblaient plus proches du Royaume. Les enfants grandissent, contredisant la vision idéale que nous avons d’eux, ne laissant que la nostalgie d’un âge perdu. Les femmes semblaient mieux tenir la distance !

Une chanson de Renaud a dérangé mes rêves :

Femme je t’aime parce que

Une bagnole entre les pognes

Tu n’ deviens pas aussi con que

Ces pauvres tarés qui se cognent

Pour un phare un peu amoché

Ou pour un doigt tendu bien haut

Y’en a qui vont jusqu’à flinguer

Pour sauver leur autoradio

Le bras d’honneur de ces cons-là

Aucune femme n’est assez vulgaire

Pour l’employer à tour de bras

A part peut être Madame Thatcher

 

Femme je t’aime parce que

Tu vas pas mourir à la guerre

Parc’ que la vue d’une arme à feu

Fait pas frissonner tes ovaires

Parc’ que dans les rangs des chasseurs

Qui dégomment la tourterelle

Et occasionnellement les Beurs,

J’ai jamais vu une femelle

Pas une femme n’est assez minable

Pour astiquer un revolver

Et se sentir invulnérable

A part bien sûr Madame Thatcher

Deux couplets parmi d’autres. C’est l’exception qui pose question et qui instille le doute sur les généralisations qui précèdent. Les femmes, en même temps qu’elles accèdent au pouvoir, ne deviennent-elles pas semblables aux hommes, perdant au passage les qualités qu’elles semblaient avoir en propre ? Libérées elles se mettent aux queues de poisson et il y a même des femmes kamikazes, pas vraiment libérées sans doute.

Une autre expression, sous forme de boutade, interroge pareillement : « les femmes sont des hommes comme les autres ». Si les femmes, une fois libérées, deviennent par trop semblables aux hommes, peut-être faut-il chercher ailleurs l’avenir de l’humanité. Hommes et femmes, sont sur le même plan, pris par des désirs de libération et d’accomplissement, aspirant à la paix et à la justice, à la tendresse et au respect de la vie. Mais tout en rêvant d’égalité et de fraternité nous faisons l’expérience de nos enfermements dans les limites de nos égoïsmes, dans le carcan des coutumes, dans de stupides querelles de suprématie. Nous sommes désespérément semblables ; alors, au lieu de nous désespérer, mieux vaudrait mettre ensemble nos capacités et notre soif d’accomplissement pour avancer sans trop nous questionner sur nos différences.

En fait ce sont les pauvres et les petits qui sont l’avenir de l’homme et du monde et non les femmes en particulier. Opprimées, ces dernières portent la promesse d’un avenir meilleur, elles prennent la défense de la vie dans ce quelle a de plus fragile, elles font passer la tendresse avant l’idéologie et la coutume. Leurs différences s’estompent à partir du moment où elles accèdent à leur tour au pouvoir et quelles rejoignent les hommes pour le meilleur et pour le pire.

Que l’on m’entende bien : il ne fait aucun doute pour moi qu’elles sont nos égales et que leur égalité est encore souvent très théorique. Je suis d’accord que la route est encore longue avant que la théorie se vérifie pleinement dans la pratique et que la lutte est rude. Mais devenir nos égales ne suffit pas si cela signifie devenir semblable à nous en perdant ce qui ferait leur spécificité. Les femmes libérées comme celles qui prennent le pouvoir ne sont pas pires que les hommes, mais on cherche souvent ce qu’elles apportent de différent, ce qu’elles nous font gagner.

J’ai la même inquiétude face à ce qui se passe en Tunisie, en égypte et peut-être bientôt ailleurs. Les efforts de libération auxquels on assiste sont remarquables. Du fond de leur oppression ils savent trouver les ressources pour réaliser une partie de leurs espoirs. Mais nous sommes bien placés pour le savoir : avec la démocratie telle que nous la vivons, nous sommes loin de la panacée. Qu’ils se libèrent de leurs tyrans actuels est déjà un exploit mais il existe bien d’autres tyrannies dont nous avons du mal à nous libérer, si même nous en avons envie. Iront-ils plus loin que nous ?

Leurs révoltes éveillent des échos en nous, nous sentons bien que ce qu’ils demandent va dans le sens de l’avenir de l’humanité. Nous espérons que leurs espoirs ne seront pas bafoués comme les autres, ils donnent envie de les imiter tant qu’ils ne nous imitent pas. Peut-être que leurs maitres ne sont pas pires que les nôtres, simplement moins modernes quand il s’agit d’opprimer et de mépriser, donc plus fragiles.

On dirait que les espoirs fondamentaux de l’homme ont besoin de l’expérience du manque et de la privation pour venir au jour et éclater. Si du moins ils ne sont pas trop écrasés, les hommes y trouvent le ressort nécessaire pour réagir. Ils portent alors, plus que leur avenir, l’avenir de l’humanité. Malheureusement, les hommes se rendorment et sombrent dans la médiocrité ou dans la violence de l’égoïsme quand les atteintes à leurs droits se font moins criantes ou qu’ils ont acquis une certaine sérénité. Nous avons peur pour les peuples qui se libèrent parce que nous savons qu’il n’est pas suffisant de parvenir à notre niveau pour être libre, que la route est encore longue, si longue qu’elle peut provoquer le découragement ou l’arrêt dans la médiocrité.

Chez nous aussi les pauvres et les petits sont l’avenir. Le Royaume est là quand ils trouvent leur place, quand leurs aspirations sont prises en compte ; c’est l’honneur de Dieu qui est en jeu. L’attention aux petits est le chemin de l’humanisation du monde, à condition qu’on ne confonde pas les pauvres avec les mendiants et la solidarité avec l’assistanat.

Les femmes veulent avoir le dernier mot et c’est bien naturel. Elles ont trouvé une formule nouvelle : « les hommes sont des femmes comme les autres ». Je ne vois pas trop ce que cela apporte en plus, mais si c’est pour dire que ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous distingue j’adhère volontiers.  Je l’accepte même si c’est dire que les caractères soi-disant masculins et féminins sont mélangés en chaque homme et chaque femme. Je serais bien triste de n’être qu’un mec.

 

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