Parler de la vie éternelle

Parler de la vie éternelle au moment des obsèques

On nous reproche parfois de trop parler de la vie éternelle au moment des obsèques, ce qui est quand même un comble. Bien sûr il ne faut pas que cette parole devienne incantatoire, mais c’est bien un des aspects essentiels de notre foi et la raison d’être de ce genre de célébration. Impossible de taire cet aspect, même devant l’athée le plus farouche.
Cependant, afin de respecter toutes les catégories de personnes présentes, il est utile d’avoir à la conscience divers types d’immortalité pour les évoquer au besoin, selon le degré de foi des participants.

Une éternité pour les non croyants
L’idée de vie après la mort ou de persistance de l’individu n’est pas complètement étrangère à ceux qui ne croient pas en Dieu.
• Certains pensent qu’ils vont se perpétuer dans leurs enfants. Après la mort, la famille continue et par elle, quelque chose de ce que le défunt a vécu. Postérité fragile, l’oubli vient très vite et il n’est pas sûr que les enfants continuent la vie dans la ligne de leurs anciens. Ce n’est pas toujours souhaitable. Pourtant, il peut être utile de valoriser cet aspect de la persistance du souvenir ou de l’influence de quelqu’un, inviter même les familles à poursuivre dans la ligne de certains choix du défunt, surtout s’ils les ont soulignés eux-mêmes. Celui qui est mort peut continuer à vivre dans le cœur de ceux qui restent, rester dans leur souvenir. On insiste à juste titre sur la nécessité de faire son deuil, pourtant cela n’exclut pas la possibilité de garder en soi le souvenir vivant de quelqu’un qui a eu de l’importance pour nous.
• Certains pensent que leur œuvre leur survivra. Ils ont eu des responsabilités, ont animé ou présidé des groupes ou des associations, ils ont créé des activités particulières, des entreprises ou autres… Il peut se faire que le défunt ait écrit, inventé, laissé une trace concrète qu’il pensait devoir lui survivre. Là aussi on peut douter de la persistance d’une renommée, d’une création nouvelle. Malgré cela, l’éventualité est envisageable d’inviter les successeurs à faire vivre ce qui a été créé par le défunt, de poursuivre une tâche qu’il a initié, de prendre le relais d’une responsabilité en restant fidèle aux valeurs qui étaient chères au disparu. C’est une manière d’honorer les morts.
• Dans une perspective plus proche du bouddhisme, certains penseront que la vie continue dans la nature ou dans l’humanité et que leur passage, même s’il n’a pas laissé des traces ineffaçables, a été une étape dans l’histoire de la vie. Tout se recompose et la figure qu’ils ont incarnée, même fugitive, a au moins été un mode d’expression de la vie qui nous dépasse et nous emporte. Nous passons mais le monde et l’humanité demeurent, chacun y apporte sa pierre, même petite et peu spectaculaire. On parle de la « chaîne de la vie ».
• « Il a vécu pour ceci ou cela », « il croyait à… », « il croyait à ces valeurs… », autant d’expressions auxquelles il convient de porter attention. Elles signifient que pour la personne en question, il existait des valeurs qui dépassent l’immédiateté, qu’il n’a pas vécu pour rien mais qu’il était guidé par des tendances fondamentales qui dépassaient sa petite personne. Il est bon d’y porter attention. C’est l’occasion aussi de se demander pourquoi nous vivons nous aussi.

Sans doute existe-t-il d’autres formulations exprimant, sinon une foi en l’éternité, au moins une croyance à des persistances, à des fidélités au delà de la mort qui s’imposent à l’homme de bonne volonté. Même si de telles opinions nous paraissent parfois secondaires ou peu convaincantes, il est important de leur donner un écho dans la mesure où il s’agit de ce qui a fait vivre la personne, de ce qui l’a guidée et l’a aidée à faire ses choix. Ce qui n’empêchera pas un discours plus complet sur la vie éternelle, une fois que les préoccupations du défunt auront été prises en compte.

« Je n’ai qu’une âme qu’il faut sauver »
Tel était le refrain que chantaient nos prédécesseurs. Ils distinguaient l’âme immortelle et le corps mortel dont elle se séparait avec la mort. À l’inverse, beaucoup de nos contemporains rejettent l’idée d’immortalité parce qu’ils croient à l’unité de l’homme et n’arrivent pas à penser une âme qui se détacherait du corps. Ils ont sans doute raison et de toute façon une telle croyance n’est pas chrétienne, elle vient de la pensée qui dominait que le corps était méprisable et que seule l’âme avait de l’intérêt, qu’elle était la seule à être immortelle. La mort était donc présentée comme une libération de l’emprise de la chair, synonyme pour beaucoup de péché et de perte des valeurs les plus hautes.
La vie éternelle perdait beaucoup de sa consistance. Seule une petite partie de l’homme était sauvée, au détriment de ce qui fait le concret de la vie. Nous étions sauvés comme des individus abstraits, pour une nouvelle vie dans un autre monde, sans rapport avec le nôtre, avec l’idée de récompense ou de punition à la clef.
En tant que chrétiens, il est capital de s’inscrire en faux, avec toute notre énergie, contre cette idée primitive que la mort est une marque de la punition divine. L’opinion est encore profondément ancrée et produit beaucoup d’animosité contre Dieu, surtout en cas d’une mort considérée comme injuste. Il faut sans doute aussi éviter les expressions du genre « Dieu l’a appelé à lui ». Mieux vaut s’appuyer sur le livre de la Sagesse 1, 13 : « Dieu n’a pas fait la mort ». Le mal restera un mystère et il est vain de chercher à expliquer l’inexplicable. Mieux vaut insister sur un Dieu qui accueille, comme un père aimant, celui qui quitte cette vie.

« Je crois en la résurrection de la chair »
Nous touchons ici le fond de notre foi, ce qui fait son originalité, le caractère unique de notre démarche de croyants. Il est indispensable de l’évoquer le plus justement possible, même dans le cas où ce n’est pas pleinement compris.
Nous sommes bien d’accord qu’il ne s’agit pas de récupérer nos petites cellules. Par contre cet acte de foi, si je l’ai bien compris, ce qui n’est pas certain !, affirme que ce n’est pas notre seul esprit qui survit à la mort, mais aussi l’ensemble de ce que nous avons construit au cours de notre vie, la manière dont nous nous sommes transformés physiquement comme mentalement, nos relations, les amours et les amitiés que nous avons eues, les acquis qui ont été les nôtres, ce que nous avons appris et construit.
Dieu nous accueille avec tout ce que nous avons fait de nous, ce que nous avons construit avec les autres, le meilleur et le pire. C’est cela qu’on peut appeler la chair de nos vies, notre chair. Dieu qui s’est intéressé à nous durant toute notre vie, qui nous a soutenu, ne doit pas pouvoir nous recevoir sans cette charge vitale.
Même ce qui est appelé le Royaume, ou le Royaume de Dieu, est présenté dans la Bible comme étant à l’image de notre monde d’ici. Transformé, transfiguré bien entendu, mais gardant quelque chose de ce que les hommes ont construit. L’eschatologie que nous présente l’Apocalypse, le nouveau monde qui vient après l’ancien, est certes en rupture avec ce qui précède, mais en constitue également son aboutissement, sa plénitude. Jean le dit à plusieurs reprises dans ses lettres : « celui qui aime est né de Dieu et vit de Dieu ». Chaque fois que nous sommes dans l’amour, nous sommes en Dieu, nous vivons de sa vie, nous sommes déjà au ciel, dans le Royaume, par anticipation. C’est ça le ciel, pas tout à fait un autre monde.
La résurrection de la chair est la persistance, transfigurée, de nos relations de cette terre et leur ouverture à l’ensemble de ce qui existe : Dieu, humanité, nature…

Nous sommes poussière
Le problème de la croyance en une âme immortelle est qu’elle tend à nous faire croire que quelque chose en nous est immortel par nature. Je pense que c’est une idée fausse. Nous sommes tout entier mortels, tant au niveau de notre aspect spirituel que de notre aspect matériel. Rien en nous ne peut traverser la mort sans être détruit.
Vivants, nous ne persistons dans l’existence que par un acte créateur de Dieu qui, continûment, nous donne la vie, nous maintient dans l’existence et nous fait grandir dans son amour. Sans cet acte créateur de Dieu au jour le jour, minute par minute, nous n’existerions pas, il nous serait impossible de nous maintenir dans l’existence. Nous disparaîtrions purement et simplement si, par impossible, Dieu venait à nous oublier. Si nous ne pouvons rien retenir, mieux vaut donc s’abandonner complètement entre ses mains.
Là est la base de notre foi en la vie éternelle : étant donné que nous n’existons que par Dieu, notre mort n’est qu’un passage. Nous n’avons confiance en rien de ce qui nous constitue, notre confiance ne va que vers celui qui nous appelle à vivre. Dieu qui nous aime et qui nous a donné la vie ne peut pas brusquement nous oublier uniquement parce que nous quittons la vie terrestre. Ou alors il n’existe pas à la manière dont Jésus nous en a parlé. Nous n’avons besoin de croire en rien d’éternel en nous, qui résisterait au temps. Notre foi unique, notre confiance s’appuient sur l’amour divin et c’est tout. Sans lui nous ne serions rien, nous ne serions même pas.
C’est un peu difficile à accepter parce que cela ne correspond en rien à ce que nous connaissons. Les parents mettent leurs enfants au monde et ensuite ils vivent de leur vie propre, sans qu’ils aient besoin d’eux. Chaque fois que nous créons, ce que nous avons fabriqué se détache de nous, ne nous appartient plus, existe sans nous. Ce qu’un auteur invente lui échappe et tombe dans le domaine public.
Il n’en est pas de même avec Dieu : nous sommes libres parce qu’il le veut et qu’il nous accorde notre autonomie, mais nous restons dépendant de lui pour ce qui est de notre existence. Là est le grand amour de Dieu, sa bonté suprême : il nous offre la vie sans contrepartie et il nous laisse en faire ce que nous voulons. Il retient sa puissance pour nous laisser un espace où nous pouvons exister à notre manière. La plupart des athées rejettent Dieu parce qu’ils ne pensent pas cela possible : être à la fois totalement dépendants et libres. Tel est pourtant le message des évangiles.
Les athées, par contre, ont bien raison sur un point : sans la foi en Dieu, l’immortalité est une folie, une manière d’échapper à la peur de la mort. Par expérience nous savons que tout passe et disparaît, impossible de croire qu’il y a en nous quelque chose capable de résister à la mort. Pour les croyants au contraire l’immortalité est une évidence si Dieu est amour et s’il s’intéresse à nous. Les hommes ont mis très longtemps avant d’oser croire à l’immortalité parce qu’ils imaginaient un Dieu lointain, indifférent à la vie des hommes. Les dieux traditionnels punissent et récompensent mais méprisent les hommes une fois qu’ils sont morts parce qu’ils ne leur servent plus à rien. Notre Dieu est proche, notre intime, il est unique, il nous aime, il ne nous jette pas.

Christian Alexandre

 

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