Agneau de Dieu

agneau

C’est de cette manière que Jean Baptiste présente Jésus qui passe près de lui. Cette formulation renvoie à un fond culturel qui nous est devenu étranger : celui des sacrifices.

Historiquement, les hommes ont pris conscience de leur petitesse et ont imaginé l’existence de forces supérieures dont il fallait gagner les faveurs. Ils offraient pour cela en sacrifice ce qu’ils avaient de plus précieux. Ils étaient prêts à tuer jusqu’à leurs propres enfants, surtout les premiers nés, pour fléchir des divinités présumées hostiles et puissantes. La Bible raconte ainsi l’histoire d’Abraham qui a été tenté d’offrir son fils unique mais son cas n’est pas unique dans l’histoire.

En se civilisant, les hommes ont abandonné les sacrifices humains et ont préféré tuer des animaux. Le temple de Jérusalem devait d’ailleurs avoir une drôle d’allure avec le sang des colombes, des brebis et des taureaux qui ruisselait sur les autels ! Le prophète Isaïe nous parle justement d’un Dieu qui finit par prendre en horreur tant de sacrifices sanglants.

« Que m’importe le nombre de vos sacrifices ? – dit le Seigneur. Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’y prends pas plaisir.

Quand vous venez vous présenter devant ma face, qui vous demande de fouler mes parvis ? Cessez d’apporter de vaines offrandes ; j’ai horreur de votre encens. Les nouvelles lunes, les sabbats, les assemblées, je n’en peux plus de ces crimes et de ces fêtes. Vos nouvelles lunes et vos solennités, moi, je les déteste : elles me sont un fardeau, je suis fatigué de le porter. Quand vous étendez les mains, je détourne les yeux. Vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas : vos mains sont pleines de sang.

Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien : recherchez le droit, mettez au pas l’oppresseur, rendez justice à l’orphelin, défendez la cause de la veuve. » Isaïe 1, 11-17

Certains, finissant par être choqués par tant de manifestations sanguinolentes, vont franchir une étape en privilégiant un sacrifice non sanglant : le jeûne qui manifeste l’effort du croyant qui cherche à se faire pardonner. Mais Isaïe (encore lui…) fait dire à Dieu son peu d’enthousiasme pour les privations et sa préférence pour un engagement en faveur des petits, des opprimés, de ceux qui ont faim et soif.

« Est-ce là le jeûne qui me plaît, un jour où l’homme se rabaisse ? S’agit-il de courber la tête comme un roseau, de coucher sur le sac et la cendre ? Appelles-tu cela un jeûne, un jour agréable au Seigneur ?

Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ?

N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ?

Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche.

Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi. » Isaïe 58, 5-10

Le choix du jeûne est un progrès indéniable, surtout s’il débouche sur le service du frère. Malgré tout, le risque demeure de rester dans la même logique : Dieu aurait besoin de sacrifices, sanglants ou non, de privations ou de bonnes actions pour pardonner nos fautes et nous accueillir auprès de lui… comme si sa bonté pouvait s’acheter ! L’Église d’avant le concile Vatican II et parfois après, ne proclamait-elle pas que c’est par la souffrance que l’on gagnait son paradis… ?

Or, par sa vie et son enseignement, Jésus avait contribué à la disparition de cette logique en mettant un terme définitif à la pratique du sacrifice. Un peu comme les agneaux qu’on égorgeait sur les autels, il a été mis à mort d’une manière tellement injuste qu’après lui plus personne ne saurait être offert en sacrifice. Il est définitivement injustifiable de penser que la mort d’un animal ou d’un homme peut nous sauver, que Dieu en a besoin. Avec Jésus, le salut est définitif.

Que quelqu’un de totalement innocent soit condamné à mort pour apaiser une soi-disant colère divine est injustifiable ; y voir le remboursement d’une dette que nous aurions contractée auprès de Dieu du fait de nos fautes est incohérent car notre Dieu est trop plein d’amour pour une telle exigence. On peut penser plutôt que Jésus a pris sur lui le péché du monde pour nous en libérer une fois pour toutes. Il a créé un espace où il nous accueille et où nous pouvons vivre de son amour : c’est l’Église et, plus largement, le Royaume qui se construit avec les hommes de bonne volonté. Dire que nous sommes sauvés, cela signifie que Jésus nous a pris avec lui et qu’il peut nous porter jusqu’à son Père. C’est ainsi que je comprends la phrase de Jean Baptiste : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Elle est si importante qu’on la répète, à chaque messe, avant la communion.

Nous avions déjà évoqué ce salut de l’humanité mais le texte d’aujourd’hui ajoute une donnée fondamentale : la Trinité. Nous disons facilement que Dieu est amour. Mais que serait un Dieu amour s’il est tout seul ? Pour aimer, il faut être au moins deux ! C’est pour cela que nous disons que Dieu est un Père qui aime son Fils et que l’amour qui les unit intimement est l’Esprit. Nous sommes très critiqués par les religions qui croient que Dieu est absolument unique, en particulier les juifs et les musulmans ; en revanche, ils ont plus de difficultés à dire qu’il est amour. Le Dieu de Jésus-Christ est donc un tourbillon permanent d’amour qui va du Père, vers le Fils, par l’Esprit… et retour ! Ça bouge en Dieu et Jésus nous fait entrer dans ce mouvement !

Cela veut dire que quand nous quittons nos égoïsmes pour nous tourner vers les autres, quand nous partageons avec ceux qui ont faim et soif de pain ou de justice, quand nous privilégions la solidarité en résistant à l’individualisme, quand nous faisons le choix de la vie en nous détournant de ce qui détruit, quand nous sortons de l’engrenage du mal et de l’indifférence qui cherche à nous happer… nous sommes dans la dynamique de Dieu et c’est son amour qui nous anime. Cependant, nous avons un peu de mal à nous en apercevoir. Il n’y a que dans la foi que nous pouvons le réaliser en prenant le temps de prier notre vie et d’y repenser avec d’autres.

Être sauvé, ce n’est pas une question de sacrifices, ce n’est pas non plus simplement pour demain, après notre mort : c’est tout de suite, avec des hauts et des bas, bien sûr, parce que nous sommes encore en chemin… Chaque fois que nous disons « oui » à Jésus, nous participons au tourbillon de la vie de Dieu avec nos frères qui sont morts et qui sont avec lui en plénitude.

Laisser un commentaire