Les débordements de haine me troublent. À notre époque où la mode va vers la tolérance, ils semblent anachroniques tellement la tendance est de tout accepter de tout le monde, de prendre acte que chacun peut penser ce qu’il veut et se comporter à sa manière en faisant croire qu’il n’y a ni vérité ni morale et que la liberté est l’essentiel de la vie. Et si une telle tolérance molle préparait le retour des jours sombres de nuit et de brouillard ?
Cette haine m’a rejoint à propos du dernier article de mon blog qui n’avait pourtant rien de révolutionnaire ! Passé un temps de sidération, je me demande encore ce que j’ai fait pour mériter ce genre d’insultes et de fatwa. Je n’ose même pas m’attribuer la dernière des béatitudes en Matthieu 5, 11 : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi » dit Jésus. J’aimerais pourtant en être digne.
Que n’ai-je lu ! Démission ! Excommunication ! Communiste ! Ordonné par un évêque rouge ! Indigne d’être prêtre ! Il porte une chemise à carreaux !… C’est fou ce que les cathos-intégristes d’extrême droite peuvent porter de haine en eux, surtout quand ils peuvent se cacher lâchement derrière un pseudo ! Sans doute le ressentiment les ronge-t-il au point de les rendre très malheureux.
On me reproche d’avoir prôné le mariage homosexuel, ce qui est une calomnie. En revanche, il est vrai qu’en 2009, autre reproche, j’avais osé écrire que je trouvais Benoît XVI si crispé sur les questions de dogme et d’idéal moral qu’il se laissait paralyser par la peur : peur pour l’Église et pour sa propre vie.
Enfin François vint qui ne transige en rien sur les questions fondamentales (ce qui est la moindre des choses pour un pape !) mais qui, lui, est totalement libéré de la peur. Il va dans les endroits les plus dangereux de la planète, serre hommes et femmes affectueusement contre lui au milieu de la foule, lave les pieds de prisonniers… Il accueille des réfugiés musulmans, des sdf, il a des amis juifs et musulmans, il défend la planète, il nous parle de l’amour humain comme aucun pape avant lui, il dénonce la puissance de l’argent et ceux qui réduisent certains hommes à l’état de « déchets » de l’humanité… Il s’en prend même aux princes de l’Église qui d’ailleurs n’osent pas trop réagir ouvertement tant le Pape parle comme Jésus… S’il n’a pas changé la loi, ce que je salue dans mon article, il nous invite à nous ouvrir à notre tour et à accueillir les rejetés et les pécheurs. Bref il m’enthousiasme au sens fort : il m’ouvre à Dieu.
Alors finissons-en avec les autojustifications : je suis un fidèle du pape. Du moins je fais de mon mieux ! Je ne vais plus faire attention aux propos haineux parce qu’il n’y a rien de plus contagieux que la haine : elle déforme les traits de ceux qui l’expriment mais aussi de ceux qui la subissent. Je suis déjà assez touché ! Vient un moment où il vaut mieux s’en détourner, renoncer à répondre, à réagir, regarder ailleurs. On ne combat la haine en soi qu’en s’ouvrant au bien.
C’est là que la question rebondit : ce n’est pas le tout de proclamer son attachement au pape, encore faut-il se demander comment vivre la miséricorde : ce qu’il nous donne comme mission. Comment dépasser la peur et la haine qui nous empêchent de nous ouvrir à l’autre dont les différences nous agressent ?
Ainsi, la miséricorde pourrait consister par exemple à rencontrer un musulman simplement parce que c’est un homme, un frère. Pourquoi parler avec lui devrait-il conduire à se convertir ou à vouloir le convertir ? Il s’agit juste de l’approcher pour le comprendre, pour tenter de communier à son élan vers Dieu, admirer sa prière en priant avec lui sans prier comme lui, se lier d’amitié en cultivant la confiance… Ce n’est qu’une fois que nous serons suffisamment proches que nous pourrons aborder nos différences et partager nos interrogations sur nos choix de vie respectifs. Les islamistes radicaux sont tellement peu nombreux que la bataille de la paix se gagnera d’abord en montrant aux musulmans un visage fraternel. Soyons attentifs à ce que la peur et la haine, toujours elle bien sûr, ne brisent tout effort d’échange.
Une autre piste tout aussi d’actualité : pourquoi condamner les homosexuels aux gémonies ? On peut être hétérosexuel et se mettre à l’écoute de personnes d’une orientation différente ; ils attendent notre sympathie et souhaitent que l’on écoute leurs souffrances et leur désir de reconnaissance, sans en faire des êtres à part. Leur soif de vivre dans l’amour et leur recherche parfois difficile de fidélité ne sont pas si éloignées de nos préoccupations ; inutile pour cela de se faire les propagandistes du mariage homosexuel ! Si l’on commence par leur demander de devenir hétéros, comment pourrons-nous soutenir ceux qui sont en recherche de foi et qui ont le désir d’une vie d’Église ? Pourquoi attendre des certitudes sur l’origine de leur différence ? Est-ce nécessaire pour s’efforcer d’éliminer la peur de l’autre, instinctive, qui monte parfois en nous ? Attendre, tergiverser, ce serait permettre à la haine de l’emporter sur l’amour et se séparer de frères en pure perte.
Pour prendre un dernier exemple, je fais partie des chrétiens qui trouvent que se marier à l’église, c’est mieux : le sacrement est une chance pour vivre pleinement une vie à deux sous le regard du Dieu d’amour. Je suis admiratif, également, devant les vieux couples dont l’union est restée solide parce qu’ils ont su faire évoluer leur attachement réciproque en l’adaptant aux aléas de l’existence, non sans difficultés certes mais dans la recherche de la communion dans leurs différences. C’est vraiment une aventure exceptionnelle… Faudrait-il pour autant refuser de côtoyer les couples non mariés et condamner pour toujours ceux qui ont trouvé un accomplissement dans un deuxième amour ? Bien que nous soyons beaucoup, chrétiens ou non, à ne pas avoir attendu son autorisation, il est dynamisant que le pape nous invite à accueillir tous ceux qui vivent de l’amour, selon les règles ou en dehors d’elles. Ce n’est pas mettre en danger la sainteté du mariage que de se montrer miséricordieux envers ceux qui ne sont pas comme nous, d’autant plus qu’en fait nous sommes comme eux avec les mêmes difficultés à aimer, à rester fidèles, à trouver les chemins vers l’autre qui font grandir.
Il faut être bien prétentieux ou aveugle pour ne pas reconnaître nos faiblesses et pour ne pas rabattre notre caquet en entendant Jésus nous dire : « que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ».