« Suis-je le gardien de mon frère ? »

Matthieu 18,15-21

La question qui sous-tend ce texte est forte : « Est-ce que je suis responsable de mon frère ? Est-ce que je me sens concerné par les affaires des autres ? » En général la réponse est négative : « Je ne m’occupe pas de mes voisins, chacun chez soi. Je ne me mêle pas des affaires des autres. » Ou bien : « Il faut être tolérant ! À chacun ses idées ! », c’est- à- dire que n’importe qui peut dire n’importe quoi, ça le regarde, pas moi. Il peut affirmer les pires âneries, tenir des propos aberrants… je n’ai pas à intervenir : chacun est libre de dire ce qu’il veut !

Le texte évangélique nous invite au contraire à nous préoccuper des autres, il parle de sollicitude : je suis responsable de mon frère, j’ai à tenir compte de lui. C’est l’exemple tout à fait contraire que l’on trouve d’ailleurs au début de la Bible. En effet, lorsque Caïn a tué son frère Abel, Dieu l’interpelle : « Où est ton frère ? ». Caïn répond : « Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? » : il refuse sa responsabilité. Sans être un meurtrier à proprement parler, je peux réagir de la même manière : « Je ne suis pas responsable de ce que fait mon frère. Chacun chez soi, chacun se débrouille. »

 Or Jésus nous invite à être attentif à l’autre, à être partie prenante de son évolution. Ce qui n’est pas évident, c’est la manière d’agir : je ne veux pas être un donneur de leçon ! Le texte suggère une progressivité. Quand quelqu’un a quelque chose contre moi, mieux vaut commencer par en discuter seul à seul avec lui sans répercuter des cancans en parlant dans son dos. Si cela ne mène à rien, on peut se mettre à plusieurs pour raisonner la personne. 

Il s’agit d’entrer en dialogue parce qu’on n’est jamais tout à fait sûr de soi. Autant je peux dire facilement « Je ne suis pas d’accord avec toi. », autant il est difficile de dire d’une manière péremptoire : « Tu fais mal, tu as tort». Je crains parfois de me tromper, de passer à côté de quelque chose d’important. Ce n’est pas une raison pour se taire. Je choisis d’aller vers lui non pour lui faire la leçon mais pour échanger, chercher à comprendre : « pourquoi tu dis ça ? » Ainsi, on ne se bloque pas sur ses positions, on ne se fâche pas comme c’est souvent le cas. On apprend même des choses de celui que l’on pensait borné !

Si je me sens responsable de l’autre, si je me risque au dialogue, si j’échange, généralement  des divergences s’aplanissent. Certes, parfois ce n’est pas possible, des positions inadmissibles amènent à prendre des distances fortes mais non sans avoir essayé le dialogue et en laissant une porte ouverte… des fois que…. C’est ce que dit la fin du texte : il arrive que rien ne soit possible. Mais j’aurai essayé le dialogue à deux, à plusieurs, nous aurons échangé nos points de vue et nos manières de faire. C’est à cela que nous invite Jésus.

 Cette attitude concerne nos proches mais quand le texte parle des « frères », il vise surtout les disciples de Jésus. Les tensions sont souvent vives entre chrétiens : celui-ci est intégriste, l’un aime le latin et pas l’autre ; les uns s’excitent dans la prière, d’autres moins ; les uns aiment bien le pape actuel, d’autres préféraient le précédent ; certains votent à droite, d’autres à gauche… C’est assez souvent entre frères que les tensions sont les plus fortes parce qu’on est de la même famille : c’est le cas des chrétiens. Ce n’est pas parce que nous avons le même évangile que nous devons être unanimes. Il y a d’ailleurs 4 évangiles, 4 présentations du même message de Jésus qui invitent au dialogue dans la diversité. En revenant aux textes évangéliques, en les relisant à plusieurs, nous n’aboutirons pas à un consensus mais nous parviendrons à reconnaître que celui à qui je m’oppose est chrétien à sa manière, je pourrai même m‘enrichir de son approche…

L’évangile d’aujourd’hui nous invite à choisir : est-ce que je me sens responsable de mon frère… ou bien je décide de mener ma vie sans me préoccuper de lui ? Jésus nous invite à la sollicitude…

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