Faire son deuil

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Quelle expression bizarre !

Comment comprendre ce qu’elle signifie… ?

Est-ce faire en sorte que la douleur s’apaise?

Bien sûr mais cela vient naturellement avec le temps. Les sensations s’estompent, prennent moins de place au quotidien. Surtout si l’on s’efforce de vivre comme on pense qu’il le faudrait, en faisant entrer du raisonnable dans nos manières d’être. Nous savions bien que le  moment vient où il vaut mieux que la fin arrive vite, quand les souffrances ont trop duré. Nous savons que la vie doit cesser quand elle touche à son terme, que chaque génération doit laisser sa place à la suivante… C’est clair quand on y pense… et moins facile à vivre sereinement.

La mort fait partie de la vie, quoi de plus évident ? Elle est normale surtout quand l’ordre est respecté et que les vieux partent les premiers. Mais elle garde son pouvoir de nuisance : elle cause toujours un arrachement, une rupture dans nos manières de communiquer, de se toucher, y compris après que la maladie et l’âge ont progressivement instauré des obstacles aux échanges.

Faire son deuil désigne sans doute le mouvement qui fait passer ce que nous avons dans la tête, jusque dans notre cœur. Il s’agit d’intégrer ce qui est de l’ordre du raisonnable. Retrouver la paix, c’est arriver à vivre avec le manque, douloureux ou non.

La blessure guérit progressivement ou du moins devient moins sensible. Les cicatrices ne disparaissent pas complètement, elles se ravivent même à certains moments. Mais la vie prend le dessus surtout si elle est aidée par l’espérance.

Il nous arrive d’aller encore plus loin dans nos pensées : la vie doit finir parce qu’au fil du temps nous étouffons dans nos limites. Autant les jeunes parviennent assez facilement à se renouveler, autant nos habitudes durcissent nos manières de vivre en même temps que nos articulations. Le carcan qui nous enserre rend difficiles nos mouvements intérieurs et extérieurs. La mort, en cassant la coquille que nous avons secrétée, libère ce que nous avons de meilleur et le révèle… en nous ouvrant à une vie différente.

Apprivoiser la douleur ?

La foi cependant ne nous dispense pas de vivre la mort d’un proche comme un chagrin d’amour qui « dure toute la vie » selon la chanson. Certes, avec le temps, la douleur n’est plus là en permanence, le quotidien reprend le dessus mais elle refait surface à la moindre occasion : lors d’une rencontre, à la vue d’un paysage familier, au souvenir de temps partagés, du fait d’une lecture, d’une photo qui tombe sous nos yeux… Le souvenir qui semblait enfoui émerge en une bouffée de détresse et on expérimente le vide laissé par le départ.

Il faut éviter, cependant, de s’abandonner à la douleur. Le risque est de se complaire dans la délectation morose, de répéter que nous sommes bien malheureux, de confondre la douleur que nous éprouvons avec l’amour que nous portons à celui qui est parti. Soyons clairs : la peine qui nous habite est notre peine et nous pleurons sur nous quand nous évoquons notre malheur. La compassion véritable consiste à se tourner vers l’autre dans l’espoir de l’aider et non à se replier sur notre désarroi. Quoi de plus hypocrite que de pleurer devant son téléviseur face à la misère du monde sans lever le petit doigt pour tenter d’influer sur les situations ? Face à la mort, comment notre peine peut-elle nous ouvrir à la vie ?

Il est bon d’exprimer notre souffrance, préférable en tout cas que de la laisser nous ronger de l’intérieur. Ceci dit, elle ne change rien à la réalité à elle seule et c’est sans doute la raison pour laquelle il est important de faire son deuil en nous tournant vers la vie. S’apitoyer sur son sort, sur celui des autres et des défunts sert souvent d’excuse pour baisser les bras ; alors, osons le tournant décisif qui ouvre sur une autre manière d’aimer, ce qui est plus facile à dire qu’à faire tant les résistances sont profondes !

Alors, oublier ?

Ce n’est pas le but si nous souhaitons rester présents à nos défunts dans l’espoir, surtout si nous sommes croyants, qu’ils restent proches. L’équilibre est délicat entre la perte à assumer et la recherche d’une nouvelle proximité qui évite les fantasmes, mes amis psy m’attendent au tournant ! S’il est vrai que Dieu vit dans un éternel présent et que nos défunts le rejoignent, on peut penser qu’ils sont proches. Il n’existe pas d’ailleurs vers lequel ils seraient partis : Dieu est l’âme de sa Création qu’il continue à habiter. Nous vivons par lui tout comme ceux qui nous ont précédés. La distance existe mais sans que la rupture soit radicale. Nous sommes du même monde, ensemble, dans ce que l’Église appelle la « communion des saints » : l’union de ceux qui sont en Dieu, les vivants comme les morts.

Peut-être aurions-nous à apprendre des africains la proximité avec les ancêtres, la familiarité qu’ils éprouvent avec eux parce qu’ils croient en leur présence dans le monde des vivants… en se libérant de la peur qui les habite souvent.

Nous espérons être un jour libérés de nos limites, habiter un amour en plénitude, nous sommes donc dans l’attente. Cependant, il n’existe pas d’autre monde mais des manières diversifiées d’être avec Dieu en compagnie de ceux qui sont passés au-delà du miroir. La vie, c’est aujourd’hui.

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