J’avais dit dans une homélie, voilà quelques années, qu’il n’était pas possible d’être chrétien tout en votant Front National. Certains ne me l’ont toujours pas pardonné !

Après avoir lu les 144 propositions de Marine Le Pen (je sais, j’ai du mérite !), j’avoue mieux comprendre ces chrétiens : on tombe facilement d’accord, à première vue, avec ce qu’elle propose. Tout est lisse, rempli de bons sentiments, on ne peut même pas lui reprocher d’oublier les handicapés et les plus défavorisés, au moins ceux qui ne sont pas enfants d’immigrés en situation irrégulière ou immigrés eux-mêmes et si on rajoute Dupont-Aignan il est encore plus difficile de s’y retrouver !

J’ai éprouvé un malaise certain face au rejet de la différence qui transparaît dans son programme, la volonté de se replier sur nos frontières, la tendance à rejeter la responsabilité des problèmes sur l’étranger, l’immigré, sur tous ceux qui ne nous ressemblent pas… Ces prises de position ne sont pas très chrétiennes mais peuvent passer inaperçues tant elles arrivent au détour d’une proposition, comme en passant. Des lecteurs non attentifs, et même des évêques, peuvent se laisser prendre.

D’habitude, la réaction des chrétiens traditionnalistes se cristallise sur la morale familiale et sexuelle. Or il n’y a pas grand chose dans les propositions de Madame Le Pen capable de les séduire : seul l’islamisme semble mettre en danger les droits des femmes, on ne sait rien des autres causes ; en outre c’est contre les « pressions supranationales » qu’il faut lutter pour continuer à interdire la GPA, réduire l’accès à la PMA et se contenter d’un PACS amélioré à la place du mariage homosexuel. On ne peut pas parler d’un retour à la « morale traditionnelle », il s’agit à peine de quelques aménagements.

De même, les chrétiens pourraient s’inquiéter de sa position sur la laïcité : «  la République ne reconnaît aucune communauté », d’où découle, en particulier, la proposition de Madame Le Pen d’un contrôle renforcé des établissements privés hors contrat (il n’y a pas que chez les musulmans que l’on trouve des écoles intégristes). Quant au refus de tout financement public des lieux de culte et des activités cultuelles, ce qu’elle promeut se fait déjà…

Tous ces points ne sont donc pas suffisants pour inquiéter certains disciples de Jésus-Christ. Jusqu’à la moralité des candidats qui ne semble plus gêner les chrétiens qui votent Le Pen : vie personnelle des représentants, affaires, non respect de la loi, fréquentations sulfureuses, héritage d’un passé problématique… Ils sont tellement habités par la peur qu’ils en oublient l’audace évangélique. Il est vrai que, même s’il y en a qui souhaitent le succès de Madame Le Pen, ce ne sont pas les plus pratiquants qui votent et veulent voter Front National (17%). On se console comme on peut !

On me dira que le culte de la réussite à tout prix, de l’argent roi… n’est guère plus évangélique que le culte du populisme. C’est bien là mon problème !

Et si chacun se bougeait un peu plus, dans son coin et ensemble, aujourd’hui et demain, sans attendre un homme providentiel ; jusqu’à quand allons-nous subir sans réagir sainement… ?

Et si c’était là le vrai changement ?