« Tu ne me dois rien »

« Tu ne me dois rien »

Comment oser dire ces quelques mots ? Non pas à un inconnu, à quelqu’un qui m’est indifférent ou avec qui je souhaite me fâcher mais à ceux à qui je suis attaché, que j’aime et qui m’aiment ? Comment même les penser pour tenter de me convaincre qu’ils sont justes ?

Ce n’est pas un : « Je n’ai pas besoin de toi », bien au contraire. Je ne peux pas vivre sans les autres et j’ai un besoin vital de certains : de leur amour, de leur amitié, de leur présence silencieuse, de leur visite, de leur soutien et de leurs remises en cause… Je me dessèche quand leur absence est trop longue et que je retombe dans mes routines.

C’est pourquoi il est difficile parfois, avec ces attentes, de me faire à l’idée que je ne suis pas le seul à avoir de l’intérêt pour eux, que des pans de leur vie m’échappent. En étant heureux de ce qu’ils me donnent et en me gardant de tout ressentiment, il vaut mieux que j’évite d’exiger davantage, même avec les intimes. 

« Je ne peux pas vivre sans toi mais tu ne me dois rien. » Mes besoins ne me donnent pas le droit de mettre la main sur l’autre. N’est-ce pas cela aimer ? À condition que ce ne soit pas une nouvelle forme de chantage déguisée !

Je rumine cette question depuis que j’ai relu, avec l’éclairage de Simone Weil, le passage du Notre Père : « remets-nous nos dettes comme nous-mêmes les remettons à nos débiteurs » (quelle tristesse que la traduction moralisatrice actuelle qui n’est fidèle ni au grec ni au latin !!!). Remettre à nos débiteurs, tout un programme quand il nous semble en permanence que les autres sont en dette envers nous, qu’ils sont loin de nous rendre en proportion de ce que nous faisons pour eux !

Et si nous rejetions l’idée que les autres nous doivent de l’amour, de l’amitié, de la présence, de la reconnaissance, de la compréhension… qu’ils ne sont là que pour faire un bout de route en notre compagnie ?

« Tu ne me dois rien mais j’ai besoin de toi pour vivre ».

C’est la même chose avec Dieu. Je lui dois tout : l’existence, le monde, je suis porté par son amour créateur. Comment pourrais-je entrer en marchandage avec lui, en faire mon débiteur sous prétexte que j’ai fait quelques prières ardentes ou quelques sacrifices ? Quels mérites pourrais-je mettre en avant pour exiger en retour une juste récompense ? De quel droit les demandes mesquines de mes prières seraient-elles exaucées ? Que ta volonté soit faite.

« Dieu, tu ne me dois rien, je ne veux rien exiger de toi qui m’as déjà tout donné. Je veux simplement m’efforcer de communier à ton amour. »

« Qui aime Dieu d’un amour véritable, ne peut pas faire effort pour que Dieu l’aime en retour. » Spinoza

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