pauvre pécheur

Unknown

Heureusement que la réforme de l’orthographe n’est pas passée dans les faits sinon vous auriez pu croire que je vais vous parler de l’ouverture de la pêche !

La notion de péché, et la culpabilisation qui va avec, est une des armes préférées des religions, de la religion catholique en particulier, pour assurer son emprise sur la vie de ses fidèles jusque dans ses aspects les plus intimes. Nous ne cessons pas, pendant les messes, de nous reconnaître pécheurs, de demander pardon et l’année de la miséricorde que nous vivons se résume pour beaucoup à se tourner vers le sacrement de pénitence.

C’est donc cette question même du péché qui m’interroge : omniprésente dans les religions, elle semble une donnée incontournable pour quiconque cherche à entrer en relation avec Dieu, au point qu’une des premières démarches d’un athée est de protester de son innocence en rejetant toute culpabilisation mortifère.

Une exception remarquable, dans le domaine du religieux, pourrait aller dans le sens de ceux qui refusent de se reconnaître pécheurs : la notion de « mariage spirituel ». La formule est étrange mais sa signification l’est encore plus  puisque, dans la vie mystique, elle désigne l’étape à partir de laquelle le spirituel est réputé ne plus pécher. Affirmer qu’un homme puisse arriver à un tel sommet est déjà surprenant, à part peut-être pour certains mystiques exceptionnels en conclusion d’une vie ascétique. Mais on affirme que Jean de la Croix est parvenu au « mariage spirituel » à 25 ans, au moment de son ordination ! Si j’ai beaucoup d’admiration pour ce saint, mon préféré, j’ai beaucoup de mal à croire qu’il était libéré de tout péché aussi jeune… à moins que le péché ne soit pas ce que l’on veut nous faire croire…

Cet écart par rapport à la théologie classique conforte mon envie d’exprimer les difficultés que j’ai avec le péché. Je ne prétends pas être parvenu au niveau d’un Jean de la Croix et je reconnais pécher « en pensée, en parole, par action et par omission » pour reprendre la formule classique. De plus je suis d’accord avec le pape François : qui suis-je pour juger ceux qui sont tombés dans des travers que je n’ai fait que frôler par chance ?

Ceci dit, j’ai beaucoup de mal à culpabiliser devant les fautes auxquelles je me laisse aller aujourd’hui parce qu’elles ne révèlent pas ce qu’il y a de pire en moi. Déjà, du plus loin que je me souvienne de mes confessions passées, elles ont consisté moins en l’aveu de fautes caractérisées que d’insuffisances répétées : je commençais presque chaque fois par « je n’ai pas assez fait ceci ou cela… ». De même, quand j’entends des gens en confession, la plupart reconnaissent surtout des limites et des faiblesses. Je n’ai guère de souvenirs de grands pécheurs. Je ne crois pas davantage mes amis quand ils prétendent ne pas se confesser parce qu’il faudrait que je leur consacre une journée entière ! Ils se vantent !

Devant ces interrogations bien dans l’air du temps, l’Église a modifié son vocabulaire en passant de la « confession », au « sacrement de pénitence » avant de parler désormais de « sacrement de réconciliation »… Mais pour se réconcilier, il faudrait d’abord être fâché et je ne suis pas fâché, au moins pas avec Dieu… Le problème est ailleurs.

Que cela soit clair : je suis loin d’être satisfait de mes façons de faire et, bien que je considère mes fautes répétées comme des peccadilles, je suis profondément meurtri devant mes imperfections et la difficulté que j’éprouve à les corriger. C’est là ce qui me préoccupe et il faut que je m’en accuse pour en prendre pleinement conscience. J’en suis vexé, ce qui est surtout la marque de mon orgueil blessé, sans que cela me culpabilise pour autant en profondeur. J’ai l’impression de me débattre en permanence contre une force qui me tire vers le bas ou plutôt d’être pris dans une sorte de marécage et plus je m’agite, plus il est difficile de m’en extirper.

Alors ? Ne pas lutter ?

Sans doute commencer par reconnaître sa pauvreté radicale, sans faire le malin, sans jouer les satisfaits. Arrêter de se débattre comme si on pouvait sortir de nos limites à la force du poignet. Ne pas avoir honte d’appeler à l’aide en se tournant vers les autres, vers Dieu. Apprendre à accepter les faiblesses de ceux qui nous entourent en reconnaissant que nous ne valons guère mieux…, en ayant assez d’humilité pour demander leur secours. Accepter d’aller au plus bas pour, une fois dépouillés de nos illusions, trouver le courage de repartir comme le noyé se sauve en donnant un coup de pied au fond. Apprendre à renoncer à un changement radical et à se contenter de faire un pas après l’autre, soutenu par l’amour de Dieu et celui de nos proches.

Inutile de supplier Dieu pour en obtenir un pardon, celui-ci est acquis d’avance. Ce n’est pas la peine non plus de nous culpabiliser face à un Dieu qui nous connaît trop bien pour nous en vouloir et d’ailleurs, c’est lui qui nous a fait… La confession n’est-elle pas avant tout un appel à une aide dont nous ne doutons pas mais que nous avons du mal à accueillir, par suffisance sans doute ?

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